VANDEVOORDE Pierre - 1956 l

VANDEVOORDE (Pierre), né le 27 août 1933 à Tours (Indre-et-Loire), décédé le 13 avril 2016 à Saint-Clément-de-Régnat (Puy-de-Dôme).- Promotion de 1956 l.


Pour résumer les multiples facettes de notre camarade, l’utilisation de ses propres Mémoires où il se qualifie de globe-trotter de l’éducation1 s’imposait. Mais le nombre de caractères imposé ici oblige à le désigner par ses initiales et à s’empresser de passer la plume à ceux qui témoignent de ces vies superposées (P. Cauderlier)

Quatrième d’une fratrie de cinq enfants, P .V . est flamand par son père Jean, et berrichon par sa mère Madeleine, de souche issoldunoise depuis quatre siècles . Après sept années sous les drapeaux (1912-1919), son père rapatrié de captivité outre-Rhin fut soigné à l’hôpital d’Issoudun, et se maria en cette ville . Le couple géra alors des épiceries dans plusieurs villes et était lyonnais en 1939 ; la famille fut mise à l’abri chez les grands-parents maternels, et P .V . comprit par la mort de son parrain, capitaine dans l’armée française, lors de la retraite de Dunkerque, la dureté du moment . De retour à Lyon, dans un wagon couvert, marqué « hommes 40/chevaux en long 8 », il entra en cours moyen et rencontra à l’école libre de la paroisse Saint-Clair un instituteur qui persuada ses parents de lui faire passer l’examen d’entrée en sixième . Le voilà au lycée Ampère, où ses dons vocaux furent repérés : soliste dans la chorale, il bénéficiait aussi de places gratuites offertes par le maire « provisoire » Justin Longchambon, à l’opéra de Lyon (le mari de sa sœur aînée en tenait la caisse) le samedi et à Villeurbanne pour les opérettes du dimanche : à douze ans, il connaissait tout le répertoire lyrique . – Il retrouva trente ans plus tard, dans la Commission ministérielle pour les Droits des artistes créée par Jean-Philippe Lecat, le ténor Michel Dens qui lui avait fait appré- cier Les Mousquetaires au Couvent ! – . Ainsi s’explique son amour de la musique qui l’accompagnera tout au long de sa vie .

Juste avant la Libération, les enfants lyonnais furent dispersés dans les collines . Pierre fut ainsi placé à Grandris dans la vallée de l’Azergues chez un cultivateur, veuf avec un garçon, où il apprit le travail de la terre et vécut les épisodes parfois bien sombres de l’époque (ainsi une bande de quatre gitans, se faisant passer pour résis- tants, avaient terrorisé le brave paysan pour lui subtiliser un jambon et une bouteille de gnôle ; rattrapés dans les bois, ils furent traînés sur la place du village et fusillés sans autre forme de procès) . C’est ce séjour chez ce « père Antonin » qui lui inculqua l’amour de la ruralité, et qui explique ses trente années de maire à la campagne.

Mais la famille repartit dès 1947 pour le Nord où le père devait représenter les usines Berliet ; finalement ils s’installèrent à Lille, – son père tenant la comptabilité d’un courtier en vins et sa mère une agence du Crédit lyonnais – . Ce fut alors dès la cinquième, le lycée Faidherbe où P .V . rencontra des professeurs de français/latin exceptionnels : en seconde2, Anicet Sénéchal qui l’introduisit à la poésie contempo- raine : Saint-John Perse, Pierre Emmanuel, Louis Aragon...) et en première Michel Décaudin, le spécialiste d’Apollinaire, qui le présenta au Concours général . Il y emporta le premier prix de thème latin, eut l’honneur de déjeuner – à Louis-le- Grand avant la séance solennelle en Sorbonne – à côté de Gaston Cayrou, qui put constater qu’il savait par cœur sa Grammaire latine . Les lauréats bénéficiaient d’un voyage à Lisbonne : Air France offrait l’avion et le champagne mais il fallait assurer le logement, et l’équivalent du Crédit lyonnais lisboète l’installa à Saint-Louis des Français : il découvrit en même temps le fado et le Caravage...

De retour à Lille, Michel Décaudin l’encouragea à préparer Ulm et il s’inscrivit en hypokhâgne . Il y fit connaissance d’Aliette, qu’il épousa dès son entrée à l’École . Il rencontra Paul Éluard dans la grande librairie Évrard – ce qui lui fournit un premier projet de thèse – encadra une colonie de vacances pour les Houillères du Nord et trouva un autre enseignant exceptionnel à Faidherbe : Georges Margolin (1941 l) qui l’encouragea à s’installer à Paris : Louis-le-Grand l’accueillit – et il résidait à Fontenay-aux-Roses chez sa tante et son oncle professeur d’histoire à Henri-IV – . Concerts le samedi à Gaveau ou Pleyel, écoute de France-Musique le dimanche..., P .V . gardait sa place à la musique . Il se détachait progressivement des pratiques religieuses de sa jeunesse mais il n’imita jamais ses camarades séduits par les rites marxistes, léninistes ou autres... même s’il côtoyait à Louis-le-Grand le fils de Maurice Thorez . L’enfer de la khâgne s’acheva un beau jour d’été et la voix de Jacques Le Goff (1945 l) lui apprit son succès par-dessus la grille du 45 rue d’Ulm3 .

Le voici marié, externe... et achoppant devant le certificat de grammaire et philo- logie . Il ne compléta jamais sa licence ès-lettres et, abandonnant son projet primitif autour d’Éluard, il reprit à la base une licence d’histoire et géographie . Il écoutait certes toujours l’éblouissant latiniste William Seston (1920 l) mais suivait les cours et les conseils de Victor Tapié et de Pierre Monbeig qui lui expliqua le mécanisme de la coopération . Un premier échec à l’agrégation, joint aux nécessités de satisfaire aux obligations militaires, ne le découragea pas . Il avait en effet de par sa belle-famille (haut-marnaise) des relations avec le Brésil, – dont le cuisinier de l’ambassade de France à Rio de Janeiro –... Petites causes, grands effets, selon une formule à P .V . familière . Ce fut cependant l’Argentine qui accueillit le couple pour un premier séjour . Le programme de la quinzaine étant décevant malgré une rencontre avec Jorge-Luis Borges, il s’arrangea avec le consul de Rosario pour découvrir la pampa en jeep et revenir à temps de Jujuy à Buenos Aires par un avion affrété par le ministère argentin, dont la titulaire, lors de l’atterrissage, crut sa dernière heure venue... Ce fut l’occasion de nouer de solides amitiés et d’entrer en contact avec Pierre Chaunu pour envisager une thèse sur le commerce entre le Brésil et l’Europe . Elle était précédée d’un mémoire limité aux relations économiques franco-portugaises entre 1750 et 1800, résultat d’un dépouillement scientifique des archives de la Douane de Lisbonne et de Porto .

Deux années de service, dont seize mois en Algérie, interrompirent ces recherches ; tandis que son épouse était affectée à Lisieux, lui était à Souk Ahras . Quand le chef de corps, alsacien, du régiment découvrit son dossier, il s’exclama quel gâchis !.... Il finit sergent et protégea du mieux qu’il put les familles des harkis en permettant aux femmes et enfants de gagner la métropole en les acceptant dans le campement puis en les escortant jusqu’au port de Bône (Annaba) par camion militaire . En écrivant ses Mémoires, P .V . regrette de ne jamais avoir su la destinée de ces familles . Ce fut, au retour, l’année de l’agrégation, obtenue malgré un calamiteux oral d’improvisé en histoire ancienne qui le brouilla avec Assourbanipal... Nommé à Caen au lycée Malherbe il se rapprocha donc des siens, et son épouse fit l’intérim du proviseur au lycée de filles (première expérience de l’administration donc) . Il fut le collègue de Louis Mexandeau, le futur ministre – ancien étudiant de Le Goff à Lille, lui aussi – et comprit très vite grâce à lui les insuffisances, voire les absurdités, de la hiérarchie administrative .

Dès 1965, P .V . fut nommé assistant d’histoire ancienne à Toulouse . Il y retrouva Michel Décaudin, connut – et apprécia – en mai 1968 le doyen Jacques Godechot .

Il l’entendit prédire que d’ici vingt ans, toutes les vendeuses du Capitole (le grand magasin de la place homonyme) auraient leur licence, et comprit la dévaluation des diplômes universitaires . Un nouveau projet de thèse fut ébauché avec Henri Marrou (1925 l) sur les activités économiques de l’Église dans l’Orient romain . Ce projet n’aboutit pas4 et P .V . se tourna très vite vers l’inspection, aidé puissamment par l’expérience administrative de son épouse qui dirigeait alors le lycée d’Auch et de son inspecteur Jean Couturier . Il voulait retrouver le réalisme, écrit-il, et le contact direct avec la vie dont il voyait s’éloigner l’Université après les illusions de 1968 .

La première responsabilité qui lui fut ainsi confiée fut l’inspection académique de la Lozère . Ces deux années le marquèrent profondément (il y succédait à l’oncle de l’athlète Roger Bambuck !) . ll sut dépasser les querelles locales, l’antagonisme avec le privé comme les scandales locaux, – notamment dans le village appelé Le Pompidou où des querelles défrayèrent longtemps la chronique y compris la parisienne – . Ce furent deux années fécondes d’apprentissage sur le tas d’un métier auquel rien ne l’avait préparé et où il devait exceller . Il y révéla ses qualités humaines et s’attira des amitiés solides de tous les bords, syndicalistes comme élus locaux . Son épouse fut nommée l’année suivante proviseur du lycée Chaptal à Mende et cela lui évita les longs et périlleux déplacements...

Le biographe le retrouve en 1972 inspecteur d’académie pour le département du Pas-de-Calais mais il doit insérer l’achat d’un moulin (à restaurer) dans le village de Saint-Clément de Régnat, dans le Puy-de-Dôme, où la famille séjournait en été depuis 1956 (son beau-père, en effet, était auvergnat de souche et le mariage avait été célébré à Saint-Diéry, également dans le Puy-de-Dôme) . Séduits par la simplicité et la gentillesse des locaux, les Vandevoorde firent ainsi l’acquisition du presbytère (que la commune vendait pour financer la réparation du clocher) . Le garde-champêtre, ayant retenu que le nouveau venu serait intéressé par la gestion de la commune, lui téléphona à Mende pour lui faire savoir qu’aux prochaines élections le maire se reti- rait et que, si le monsieur du bitère (on aura compris : du presbytère) se présentait, il serait élu maire de par l’accord unanime des conseillers sortants . Voilà comment P .V . ajouta à ses déplacements de fin de semaine entre Mende et Auch, des haltes auvergnates qui le firent hautement apprécier des locaux mais aussi des personna- lités locales, de Michel Charasse à Valéry Giscard d’Estaing . Ce dernier, lors de sa nomination en Conseil des ministres comme directeur du livre au ministère de la Culture, fit observer au ministre de tutelle, J .-Ph . Lecat, qui avait présenté son curri- culum vitæ, l’omission de sa qualité de maire d’une commune du Puy-de-Dôme ! ! 400 habitants, autant que les fonctionnaires sous sa houlette parisienne . Dès lors les Excellences se succédèrent, venant de la capitale pour couper les rubans, inau- gurant les écoles ou les réalisations municipales, et un peu plus tard, les plus grands interprètes de l’art lyrique vinrent à Randan (Puy-de-Dôme) pour de mémorables récitals : il faut dire que son épouse dirigeait alors la Maison d’éducation de la Légion d’Honneur à Saint-Denis et grâce à l’admirable compositeur et pédagogue qu’était André Lavagne, premier Grand Prix de Rome, auteur de plusieurs opéras, – il tint longtemps La Semaine du Mélomane dans Le Figaro –, elle faisait venir Jessye Norman ou Christine Éda-Pierre en Auvergne...

L’année passée à Arras – son épouse étant nommée alors à Béthune confirma la finesse de ses observations de la vie locale et son art de la conciliation des opinions diamétralement opposées . Mais elle lui imposait d’innombrables heures au volant et sous le brouillard pour rejoindre les localités les plus peuplées, éloignées du chef-lieu . C’est le maire de l’une d’elles, qui s’appelait encore Hénin-Liétard5, Jacques Piette, membre du Conseil d’État, qui l’incita à entrer dans le cabinet du ministre . Cette activité l’occupa huit années, d’abord sous la férule de Joseph Fontanet ; puis il fut appelé à concevoir la réforme du collège avec René Haby . ll combat le trop facile jeu de mots collège unique, collège inique dû aux démagogues, en opposant les nécessités du collège du Bleymard dans les hauts-plateaux lozériens, à celles de son homologue parisien d’Henri-IV . Il raconte avec humour sa séquestration dans son bureau pari- sien le jour où le ministre Fontanet lui remettait sa Légion d’Honneur...

P .V . raconte en termes savoureux les quiproquos des examens : le concours pour lequel le sujet de l’après-midi est distribué le matin – les candidats doivent selon sa décision rester dans la salle avec sandwiches et eau minérale – ou le CAPES de musicologie où le président introduit de son chef une note éliminatoire... Puis ce fut le ministère de la Culture où il devint Directeur du Livre . Il échangeait ainsi les réunions avec les syndicalistes contre les créateurs du monde littéraire : René Char, Hervé Bazin, Robert Sabatier... et les éditeurs comme la maison Gallimard ; il voulut mettre en place le prix unique du livre mais se heurta à un inflexible ministre de l’Économie, René Monory qui s’en tenait au dogme de la liberté des prix . Même sa visite à l’Élysée en compagnie de Jean Mistler (1919 l) ne put infléchir cette politique ruineuse pour les libraires indépendants et rabaissant le livre au niveau d’un objet de supermarché . Avec le recul, P .V . analyse cet échec comme la cause de son départ en 1981 ; il eut cependant la satisfaction de voir son rapport au premier ministre de l’époque (Raymond Barre) repris tel quel par les services de Pierre Mauroy le premier ministre du nouveau septennat ; mais il portait le nom de son successeur...

Remis à la disposition de l’Éducation nationale, il gardait le souvenir de la créa- tion du Salon du Livre (dont le premier, en 1981, fut inauguré par Jack Lang ; le succès ne fut jamais démenti) et de l’exposition de livres français en Chine, l’opéra- tion 10000 livres français en Chine, à Pékin et à Chang-Haï . Il avait aussi à son actif la création du Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information, le CLEMI en acronyme .

C’est à la même époque qu’il raconte la nomination de son épouse comme surin- tendante des deux Maisons d’éducation de la Légion d’Honneur qui, à Saint-Denis comme à Saint-Germain en Laye relevaient du pouvoir régalien du président de la République en personne, avec l’instruction moderniser les maisons en respectant les traditions... dont, entre autres, le concert annuel en présence effective du Président, sous la direction d’André Lavagne déjà cité .

Les voyages de P .V . à l’étranger, commencés au temps de René Haby, s’inten- sifièrent . Il avait pu examiner dès 1975 au Québec une organisation modèle des lycées français de l’étranger, et il effectua d’innombrables missions pour régler de délicates affaires, tournant autour de la scolarité (les frais des établissements qui ne sont pas gratuits comme en Métropole) ou des conflits entre enseignants locaux et détachés de France, aux émoluments parfois dix fois supérieurs . Mais au Pérou il dut régler les menaces des sendéristes, les membres de l’organisation marxiste du Sentier Lumineux dont le programme visait l’élimination physique de quiconque savait lire, pour reconstituer la société, selon une lecture au moins étrange de Platon... et dont certains sympathisants enseignaient au lycée français... À Montevideo il ne put donner le nom de Jules Supervielle au lycée français, et en Centrafrique redevenue républicaine il ne put apprécier l’accueil de « l’empereur » Bokassa dont ses prédé- cesseurs lui avaient vanté l’opulence... Il termine ce chapitre par le Proche-Orient, émirats du golfe Persique compris ; il s’y dépensa sans compter pour maintenir l’en- seignement de la langue et de la civilisation française notamment au Liban où il mit en place l’Association Franco-Libanaise d’Éducation et de Culture, qu’il présida aussi longtemps que sa santé le lui permit et qui est dirigée par François Le Goff . Mais il serait bien plus aisé de trouver sur la mappemonde un pays qu’il n’aurait pas visité... d’où le titre de ses Mémoires.

Celles-ci s’achèvent par le rappel de ses œuvres poétiques (prix Louise-Labbé en 1983) traduisant ses voyages, même ses décalages horaires, depuis les journaux lycéens de Faidherbe jusqu’aux poèmes dictés par le séjour au Liban, et enfin par un résumé de ses activités à la tête de très nombreuses associations : on ne peut que citer l’AMOPA regroupant les titulaires des Palmes académiques, l’APIGEN regroupant les Inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, et l’évocation, photographies à l’appui, d’innombrables voyages, journées d’études, conférences... qu’il organisait .

Notes

1 . Il avait cru pouvoir franciser le terme en globe-trotteur mais s’était vite rendu à l’usage de l’anglicisme, consacré depuis Philéas Fogg . Ces Mémoires ont été éditées par La Chanson des Livres en 2015 .

2. Il était inscrit en section A’ (lire A prime, elle joignait le programme complet des litté- raires en français, latin et grec, au programme scientifique menant à Mathématiques

élémentaires) . Il évoque la ténacité du proviseur de Faidherbe pour maintenir dans son établissement cette section, qui ne fut plus proposée après la suppression de la première partie du baccalauréat en 1964 .

  1. 3 .  Jeune assistant à la faculté de Lille, celui-ci avait parmi ses étudiantes la future épouse de P .V ., qui raconte comment Jacques Le Goff entra lui-même à l’École : un des candidats reçus au concours de 1945 avait aussitôt démissionné pour entrer dans les ordres, libé- rant ainsi une place au profit de celui qui devait si longtemps diriger l’École pratique des Hautes Études en Sciences Sociales...

  2. 4 .  Un tel travail ne pouvait se concevoir en dehors des bibliothèques spécialisées en papy- rologie ; il a d’ailleurs été mené à bien en Pologne à la même époque par madame Iza Biezunska-Malowitz .

5 .  Ce toponyme, trop lié dans la mémoire collective à l’exploitation de la houille, a été remplacé par Hénin-Beaumont .

Pierre Vandevoorde, élève, rentrée 1956

C’est à la rentrée de 1953 qu’a commencé pour moi en première année de khâgne à Louis-le-Grand une conversation de plus de soixante années avec Pierre Vandevoorde . Nous étions plusieurs à débarquer d’hypokhâgnes extra-parisiennes, de Clermont-Ferrand (Georges Nivat, 1955 l, et François-Bernard Mâche, 1955 l), de Nancy (Michel Didier, 1956 l, et Jean-Claude Fizaine, 1956 l) – j’apportais une note d’exotisme en atterrissant de Tananarive . Pierre Vandevoorde, pour sa part, repré- sentait, venant de Lille avec son ami Jean-Claude Allain, ce Nord de la France qu’il comprenait en profondeur . Nous avons fait de concert l’apprentissage de Paris et nous avons dû nous insérer dans ce milieu assez rude, en tout cas pragmatique, d’une grande khâgne parisienne qui affichait une énergie tendue vers l’efficacité immé- diate et remettait à plus tard les curiosités désintéressées et les bonheurs esthétiques . Pierre, quant à lui, aimait la poésie et ne s’en cachait pas . Il évoquait ses amis poètes créatifs de Lille, Jean-Claude Allain, Alain Bouchez, encouragés par leur stimulant professeur Michel Décaudin . Il était admiratif de la robustesse de Guillevic et de Pierre Emmanuel, sensible à la musicalité voilée de Paul Éluard auquel il a un temps songé à consacrer une thèse . Toute sa vie, il a su conjuguer le raffinement de l’amou- reux de Venise où il aurait parfois rêvé de se fixer et la vibration à la puissance et à l’élan de Saint-John Perse . Ses créations personnelles1 témoignent de la même double postulation .

Bientôt aussi j’ai été frappé de l’attention qu’il portait aux autres . Il avait le goût de faire plaisir spontanément à ses amis, dans la discrétion et sans en être sollicité, parce qu’il avait l’art de deviner ce qui pouvait leur être agréable . Et c’est le plus agréables des « co-thurnes » qui s’est manifesté au cours de ces quatre années que nous avons partagées rue d’Ulm . Marié à Aliette avec qui il inaugurait soixante ans d’harmonie et de constructions communes dès l’été qui suivit son admission, il avait le statut

d’externe . Il ne résidait donc pas à l’École, mais, du moins en première année, nous passions nos journées avec Maurice Laugaa (1956 l), Michel Hulin (1956 l), Jean- Pierre Osier (1956 l) dans la même pièce vouée à nos études et où les fréquentes visites d’Aliette venaient apporter une note apaisante parmi nos joutes de jeunes intellectuels en recherche . Pierre n’a jamais renâclé devant le travail . Ce lauréat du Concours général en latin qui maîtrisait si bien les langues anciennes a su repartir sur de nouvelles voies en devenant historien à son entrée à l’École . Mais ce garçon de convictions qui prenait au sérieux la vie et ses valeurs savait faire preuve de fantaisie et d’un humour léger . Pour rien au monde il n’aurait manqué, après le déjeuner, la suite des tribulations radiophoniques des personnages de Pierre Dac et Francis Blanche dans Signé Furax, variations héroïco-parodique du Judex de Feuillade et Franju, et il ne dédaignait pas la chansonnette farfelue . C’est qu’il aimait les êtres et les lieux dans leur diversité . Il aurait pu faire sien le titre d’un tome des Hommes de Bonne Volonté : Le monde est ton aventure. Dès la fin de sa deuxième année d’École, ne partait-il pas à la découverte de la République argentine, – et pas seulement de Buenos Aires – . Pourquoi pas la Lune quand, en général, on ne s’aventurait pas au-delà des pays limitrophes de l’Hexagone... Plus tard, haut fonctionnaire de la République et passeur culturel de la France, du Maroc au Laos, de la Malaisie à l’Amérique latine, du Kossovo au Liban, il a pu, tout en se révélant utile et efficace, concrétiser cet amour des voyages et des rencontres lointaines qui marquait déjà sa jeunesse .

Dans ce que j’ai cru savoir de sa vie active, je n’ai pas non plus été surpris de retrou- ver le condisciple intransigeant sur les principes et mesuré dans sa ferme courtoisie . Sans participer aux activités « talas », il restait imprégné de son éducation catholique . Il partageait les convictions citoyennes de nos promotions dans leur majorité : le double refus de la guerre d’Algérie et de l’intervention soviétique en Hongrie . Mais il ne tombait pas dans les dramatisations juvéniles et l’agitation, parfois à vide, des prises de position idéologiques souvent taillées à la serpe . Son respect d’autrui lui évitait ces travers .

C’est que Pierre était, au sens initial du terme, un libéral . Non pas comme Margaret Thatcher, mais comme Germaine de Staël, non pas comme les doctrinaires ultra-libéraux, mais comme Benjamin Constant – un libéral de l’âge d’or où l’amour de la liberté pouvait se combiner avec le sens de l’État, où l’efficacité pouvait aller de pair avec la Haute Culture qui était la sienne . Comme il est dit dans la Règle du jeu : « Cela ne manque pas de classe ; et croyez-moi, ça devient rare » .

Notes

1 . La Traversée de l’Atlantique (1962), Visitation des Masques (1988) le Voyageur et l’étourdi (1993) .
 

Alain MEYER (1956 l)

Pierre Vandevoorde, père de famille

De nombreux souvenirs me reviennent à l’esprit quand je pense à mon père, mais il y en a un que je conserve par-dessus tous, et que je voudrais partager avec vous . Ce souvenir, c’est celui des versions latines avec papa .

Quand j’étais lycéenne, puis étudiante, je peinais régulièrement sur cette corvée qu’étaient les versions latines . J’essayais, je tournais le texte dans tous les sens, je consultais fébrilement le dictionnaire mais souvent, je me rendais bien compte que je ne m’en sortirais pas toute seule et je me décidais à aller demander de l’aide à papa .

Il était généralement dans la salle à manger, au Foyer, en train de travailler sur l’immense table ronde, entouré de ses piles de dossiers, avec son gros cigare qui pue, son chien à ses pieds et la télé à plein tube en fond sonore .

Il me regardait entrer, levait un sourcil fâché, attrapait le texte que je lui tendais, le parcourait d’un œil distrait et, là, me donnait le coup de grâce en marmonnant entre ses dents « Bon, c’est un texte facile » . Il trouvait facile le texte sur lequel je m’échinais depuis une heure !

Si je voulais partager cette anecdote avec vous, c’est pour rappeler que papa était, et a été jusqu’à la fin, un grand intellectuel, et que c’est grâce à son exemple que Mathilde et moi, et tous nos enfants, avons eu le goût d’avoir des livres, puis d’étu- dier dans les livres, même si ce ne fut pas toujours en latin .

Marie-Adélaïde NIELEN-VANDEVOORDE
Conservateur en chef aux Archives nationales

Pierre Vandevoorde, poète, marcheur pensif et inapaisé

Le premier abord était sans démagogie : direct, sans fausse chaleur, allant vite à l’essentiel . Car Pierre Vandevoorde n’était pas un adepte des fioritures et des faux- semblants . Une longue et riche carrière, à multiples facettes, avait façonné chez lui une aptitude à discerner spontanément la situation et les personnes, sans marge d’er- reur . Il jugeait vite et pensait juste, avec une bienveillance placide qui n’était dupe de rien . Quand je dus passer un entretien en 1991 pour rejoindre l’Inspection, il me fit, dans le couloir, cette unique et curieuse réflexion, presque marmonnée, qui résonne encore dans mes oreilles : « Bon, vous allez nous rejoindre . Il vous faudra apprendre à ne pas croire tout ce qu’on vous racontera » . Et ce fut tout . Je me le tins pour dit et ce conseil me devint un utile viatique .

Il faut dire que cette manière de penser et d’agir, à la fois énergique et posée, résultait d’une prodigieuse expérience professionnelle : une carrière de héros roma- nesque, un bildungsroman. Pierre Vandevoorde était né de la rencontre imprévisible d’un soldat flamand blessé à la guerre de 1914-1918, replié à Issoudun, et d’une jeune infirmière officiant à l’hôpital local . Boursier méritant, normalien, agrégé d’histoire, professeur au lycée de Caen, maître-assistant d’histoire ancienne à Toulouse, inspec- teur d’académie à Mende, membre de divers cabinets ministériels, conseiller de René Haby pendant la réforme du collège unique, directeur des personnels enseignants, inspecteur général, doyen de l’Inspection générale vie scolaire : un déroulé ascen- dant et incessant ! Entre-temps, il aura aussi été directeur du Livre puis président du Centre national des Lettres au ministère de la Culture . Il y sera l’instigateur du prix unique du livre, salubre projet finalisé en 1981 . Sans compter son engagement municipal, puisqu’il fut maire de Saint-Clément-de-Régnat, ville du Puy-de-Dôme, pendant trente ans . Car, peu adepte de la seule spéculation, il croyait, à juste titre, au contact, vital, avec le terroir et le terrain .

D’avoir ainsi traversé les lieux du savoir et du pouvoir ne l’avait pas grisé . Il sentait en lui la hantise de tourner en rond, un perpétuel appel de l’ailleurs, une envie de respirer à l’écart de la grisaille quotidienne de la rue de Grenelle, dont il connaissait tous les contours et toutes les redites . Il entrebâillait des fenêtres, levait le regard vers des horizons plus lointains, anticipait . Très tôt, il eut conscience de la nécessité pour l’école de s’ouvrir sur la culture d’un monde bousculé par les médias, bien- tôt mondialisés puis numérisés . Aussi fonda-t-il le CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) ; plus encore, il se passionna pour les établissements français à l’étranger et voyagea beaucoup, de Québec à Nouakchott, de Venise au Sahara, du Machu Picchu à Saïgon . Ces échappées de « globe-trot- ter » (terme qu’il retint pour intituler ses mémoires) lui plaisaient, car sa passion de construire et de féconder y retrouvait nouveauté, vigueur et efficacité . Il créa même l’Association franco-libanaise pour l’éducation et la culture, associée à la Mission laïque française . Nous nous étions rendus ensemble à Beyrouth en 2004 . Il y était connu de tous, entouré, salué . On savait ce qu’on lui devait .

Mais ce désir d’aller outre, c’est aussi dans son intimité qu’il aimait l’accomplir, par introspection . Pierre Vandevoorde était un poète, discret mais incessant . Un de ses recueils avoue cette escapade physique et mentale, La Traversée de l’Atlan- tique, qui obtint le prix Louise-Labbé en 1983 . Sa poésie illustre subtilement les deux versants de sa personnalité, à la fois ancrée dans le réel, hic et nunc, et jamais assou- pie, percevant les turbulences imprévisibles du vaste monde, faisant lever ses orages désirés . La ferveur s’y accompagne de perplexité . Un autre titre révèle cette dualité et cette ambiguïté : Le voyageur étourdi, que cita Robert Sabatier dans son Histoire de la poésie française. Car le mot « étourdissement » a un double sens : c’est à la fois le tournis du migrant inassouvi et la distraction du rêveur . Quand j’ai dû apporter ma contribution, j’appelai Pierre et lui demandai sur quel sujet il me suggérerait d’écrire . Il fut laconique : « mais la poésie, évidemment . C’est ce qui restera » .

Il aura eu une vie pleine, animée, fructueuse, utile, généreuse . Rien de ce qui est humain ne lui fut étranger . Nous partageons la peine de sa famille, à laquelle il était si attaché . Nous saluons son épouse Aliette Vandevoorde, qui eut, comme chef d’établissement, une carrière hors du commun qu’elle termina comme surin- tendante de la Maison de la Légion d’Honneur . Nous garderons de Pierre, marcheur pensif et inapaisé, un souvenir qui rayonne comme un exemple .

Xavier DARCOS, de l’Académie française
Ancien doyen de l’Inspection générale de l’Éducation nationale
Ancien ministre de l’Éducation nationale

Pierre Vandevoorde, l’ homme d’un équilibre

Pierre Vandevoorde avait construit un équilibre rare, fait de distance et d’engage- ment, celui que nous cherchons tous, chacun à notre manière, à construire . Le village de Saint-Clément-de-Régnat en était une pièce essentielle, et le fait qu’il y soit décédé a un sens profond . Grand amateur (entre autres) de Maurice Barrès, il conseillait d’en lire les Cahiers, où l’écrivain est le plus sincère, et s’interroge même sur l’aspect construit de son enracinement lorrain . Pierre Vandevoorde n’était dupe d’aucun mythe, pas plus de ceux déployés par le chantre du nationalisme que d’autres ; il était frappant de voir l’homme d’un enracinement choisi et authentique lire avec une distance amusée l’homme de l’enracinement mis en scène et peu profond . Barrès remarquait dans ses Cahiers qu’à Charmes, dans la Lorraine qu’il célébrait tant, il ne parlait à personne ; Pierre Vandevoorde était devenu maire, et Dieu sait qu’il connaissait les arcanes de la vie locale . L’en entendre parler le soir, autour d’un verre, était une fête de l’esprit et de l’humour .

C’était pour lui un autre pan de la comédie humaine, peut-être plus chaleureux que ce qu’il avait pu connaître ailleurs – à l’exception sans doute de son expérience libanaise –, mais où il pouvait donner libre cours à sa passion : mettre en relation des gens pour régler des problèmes . On ne peut se livrer à ce type d’engagement sans s’y perdre, qu’en ayant développé un solide quant-à-soi, et le sien était matérialisé, caractérisé par une profusion qui constituait un monde dans le monde, et dont la hiérarchie profonde échappait à l’observateur : la poésie, la littérature en général, la musique, les cigares, la bonne chère, une famille qui semblait un clan au bon sens du terme, peuple de fortes personnalités et de références communes, les beaux et vieux objets... toute une ambiance fascinante et impénétrable aux yeux du jeune homme que j’étais quand je l’ai connu . Il parlait quand il le voulait bien, de ce qu’il voulait, avec une manière de sourire ironique et de pétillement de l’œil qui en impo- sait, quand bien même ce n’était pas le but qu’il visait . Il ne cherchait pas à donner d’emblée un but à la conversation quand il s’y adonnait, mêlant de fines et parfois mordantes notations et des récits pittoresques, où l’on pouvait entrapercevoir une indulgence mêlée d’ironie .

Son détachement était en effet un hommage à l’ironie des choses et à l’épaisseur du monde . Cela ressemblait bien à cet esthète, de vivre dans un ancien presby- tère, et l’on voyait facilement qu’il s’agissait d’un refuge que son engagement avait empêché d’être un ermitage . L’un de ces bâtisseurs du collège moderne, le père véritable du Salon du livre, la figure marquante de la Mission laïque, l’homme qui avait à la fois connu les arcanes de la vie en académie et celles du ministère avait comme matérialisé son indépendance profonde . Quand je l’ai connu, je n’avais aucune idée de ce qu’était l’Inspection générale, et bien des clefs me manquaient pour le comprendre . C’est quand j’ai connu cela de l’intérieur que j’ai saisi plus de choses . Si Pierre Vandevoorde a présidé aux destinées de l’APIGEN, amicale des personnels de l’inspection générale de l’éducation nationale, ce n’est pas un hasard . Très attaché à l’Inspection générale, il en incarnait fortement le position- nement si singulier .

Il y a une leçon (et souvent plus d’une) dans toute existence accomplie . Pour nous, inspecteurs généraux, celle que laisse Pierre Vandevoorde est à son image, subtile et aidante . La pratique du va-et-vient entre le « terrain » et les organes décisionnels sur le plan national, entre la facilitation et le magistère intellectuel, entre le conseil et l’exercice de responsabilités, n’est vraiment utile et opérationnelle que quand elle est couplée à une véritable indépendance d’esprit, assise sur une culture de la compré- hension d’autrui .

Jérôme GRONDEUX 
Inspecteur général de l’Éducation nationale (histoire)
et ami de la famille

Pierre Vandevoorde, directeur du livre
(février 1980- octobre 1981)

Pierre Vandevoorde doit à son prédécesseur à la Direction du livre, Jean-Claude Groshens, d’être entré au ministère de la Culture . L’ancien recteur de Lille, avec lequel il avait travaillé quand il était dans le Pas-de-Calais, l’incita à poser sa candi- dature au poste qu’il quittait pour prendre la présidence du Centre Pompidou . Nommé en février 1980 dans un contexte difficile – son budget connaissait, en cette fin de présidence giscardienne, « une période de basses eaux » et la gauche avait fait du livre un de ses chevaux de bataille –, il a pourtant, en moins de deux années et sous des gouvernements de tendances opposées, réussi à marquer son mandat .

Il y a, d’abord, le rapport au Premier ministre sur Les bibliothèques en France, dont il a été le coordinateur et qui porte son nom . Alors qu’il s’agissait, à l’ori- gine, d’une sorte de leurre destiné à pallier l’abandon d’une loi de programme en faveur de la lecture publique, il a produit « un manifeste » affirmant la doctrine et les ambitions de sa direction, dont le ministère Lang devait ensuite s’inspirer . Il n’avait cessé, en effet, de s’intéresser aux bibliothèques et de multiplier les visites sur le terrain . Et c’est lui qui fut chargé, après mai 1981, lors du rattachement de la Bibliothèque nationale au ministère de la Culture, des délicates concertations avec les syndicats .

Un autre dossier majeur auquel Pierre Vandevoorde a été confronté est celui du prix du livre . S’il ne parvint pas à faire revenir sur sa décision d’interdire la pratique des prix conseillés par un ministère de l’Économie qui, pour lutter contre l’inflation, soutenait une doctrine de liberté générale des prix, il eut la satisfaction, après l’alter- nance, de se voir confier par Jack Lang la préparation de la loi sur le prix unique du livre, votée dès le mois d’août 1981 . Il regrettait seulement que le mérite en ait été, par la suite, attribué à son successeur .

Il s’est aussi beaucoup investi au Centre national du livre, un organisme destiné, à son avis, « à faciliter le travail des créateurs et non à imposer des normes et des règles » . Celui qui allait bientôt publier La traversée de l’Atlantique côtoyait avec bonheur René Char, Francis Ponge ou Robert Sabatier . Parmi les initiatives dont il était fier, citons la création d’une commission du livre savant, qu’il demanda à Raymond Aron (1924 l) de présider, et l’édition des œuvres complètes de Patrice de la Tour du Pin .

Parmi d’autres actions notables, on retiendra son soutien efficace à la création du Salon du livre, dont la première édition eut lieu en 1981, ses efforts pour la diffu- sion du livre français à l’étranger, et l’organisation de cette grande manifestation en Chine, qui connut un extraordinaire succès populaire . Il eut aussi l’idée en 1980, pour l’Année du patrimoine, de l’opération « écrivains et terre natale », inspirée d’un titre de Marcel Arland, auteur qu’il admirait .

Au ministère de la Culture, il a laissé le souvenir d’un homme d’expérience et de contact, qui avait su établir des relations cordiales avec ses différents partenaires et donner à sa direction, constituée depuis peu, la cohésion qui lui manquait encore . Lui-même s’est plu à reconnaître les compétences et l’aide précieuse de ses collaborateurs . « C’est un homme extrêmement intelligent, et il faisait un superbe travail » devait dire le ministre Jean-Philippe Lecat qui l’avait nommé . Pierre Vandevoorde gardait de cette mission le souvenir d’un moment heureux de sa vie administrative, mais c’est sans amertume qu’il réintégra, en octobre 1981, l’Éducation nationale .

Françoise MOSSER
Conservateur général (honoraire) aux archives nationales
Correspondant du Comité d’histoire du ministère de la Culture

Pierre Vandevoorde, président de l’Amicale de l’Inspection générale de l’Éducation nationale

Comme vous pouvez vous en douter, il y avait beaucoup de monde hier après- midi pour accompagner Pierre Vandevoorde à sa dernière demeure . Georges Fotinos, Bruno Halff, François Le Goff – successeur de Pierre à la présidence de l’Associa- tion franco-libanaise pour l’éducation et la culture – conduisait une délégation de Libanais ; sans doute d’autres collègues étaient-ils là, que je n’ai pas aperçus .

La cérémonie fut comme la vie de Pierre Vandevoorde, un savant dosage de grandeur entre sa vie parisienne, cadre de sa carrière aux plus hautes fonctions, et d’humble simplicité dans cette petite paroisse au milieu de la population de ce village à l’orée de la Limagne . Les giboulées de mars attardées en avril modifiaient les couleurs de la chaîne des Puys qu’il se plaisait tant à évoquer . Fixés dans ce village depuis 1956 par l’acquisition du presbytère, Pierre Vandevoorde et son épouse vivent à Paris et se rendent aussi souvent que possible à Saint-Clément-de-Régnat, dont il devient le maire en 1971, et le restera jusqu’en 2001 . C’est là même qu’il était prévu que soit célébrée, au mois d’août, leur union depuis soixante ans .

Il était très attaché à l’Amicale, dont il fut le président à la suite notamment de notre collègue Louis Faucon ; Georges Laforest lui succéda . Il approuva, sans aucune réserve, la transformation de l’Amicale en association professionnelle, comme l’exi- geait le secrétariat général du gouvernement pour toutes les inspections générales . J’ai trouvé auprès de Pierre conseils et encouragements constants . Il suivit sans cesse la vie de l’APIGEN et s’est toujours préoccupé de son rayonnement, comme nous l’a confirmé Aliette Vandevoorde hier .

L’APIGEN a perdu un ami, un collègue modèle, un humaniste accompli .

Jacques THIERY
Président d’honneur de l’APIGEN (texte rédigé le 19 avril 2016)

Pierre Vandevoorde, maire rural (1971-2001)
(Ce texte a été prononcé le 18 avril 2016 aux obsèques de notre camarade)

C’est avec une grande tristesse et beaucoup d’émotion que nous sommes réunis afin de vous entourer pour la dernière fois .

En ce jour de deuil, notre église n’est pas assez grande pour contenir tous ceux qui ont voulu vous témoigner, ainsi qu’à vos proches, leur respect, leur reconnaissance, ou, plus simplement, leur amitié .

Aujourd’hui se mêlent aux habitants de Saint-Clément-de-Régnat des personnes venues d’horizons très différents, de nombreuses régions de France et d’autres nations . Cette diversité traduit précisément ce que fut votre vie .

Vous êtes issu d’une famille modeste . Votre enfance a été marquée par les priva- tions et les difficultés de la guerre . Après des études brillantes, vous avez dû partir pour l’Algérie comme les autres jeunes hommes de cette époque .

Après votre retour, commença une longue carrière professionnelle qui vous amena à intervenir dans plusieurs régions françaises et à travers le monde, souvent dans des contextes tendus et difficiles .

Votre vie durant, vous avez eu le sens de l’engagement et des responsabilités .

La meilleure preuve est que vous avez assuré jusqu’à votre disparition la présidence de l’Association franco-libanaise d’éducation et de culture que vous avez créée en 2002 . Plusieurs représentants venus du Liban sont parmi nous aujourd’hui . Leur présence à elle seule traduit la reconnaissance ainsi que la richesse et l’authenti- cité des liens que vous avez su créer .

Vous êtes arrivé à Saint-Clément-de-Régnat en 1956 où vous avez acheté et rénové l’ancien presbytère . Dès le départ, vous êtes tombé amoureux de ce village, et vous avez accepté en 1971 d’en devenir maire . Vous vous êtes alors fondu dans cette vie d’élu rural où vous aviez plaisir à retrouver vos administrés lorsque vos responsa- bilités professionnelles vous permettaient de rejoindre notre petite bourgade . En homme calme et réfléchi, vous avez géré notre commune en bon père de famille . Vous étiez un homme de paix, et vous haïssiez les conflits, que vous saviez mieux que quiconque désamorcer dans la douceur .

Avec Alyre, votre premier adjoint, vous avez constitué une équipe soudée et effi- cace, qui vous a valu la confiance des électeurs durant cinq mandats consécutifs .

Bien sûr, votre engagement en tant qu’élu ou dans le domaine professionnel vous a valu de nombreuses distinctions, dont je ne citerai que les principales :

  • –  En 1962 : médaille de la commémoration des événements d’Algérie

  • –  En 1971 : médaille de la jeunesse et des sports

  • –  En 1973 : médaille de l’Enseignement technique

  • –  En 1975 : chevalier dans l’Ordre du Mérite

  • –  En 1979 : chevalier de la Légion d’Honneur

  • –  En 1980 : commandeur des Palmes Académiques

  • –  En 1980 : commandeur des Arts et lettres

  • –  En 1983 : croix du combattant

  • –  En 1991 : officier de la Légion d’honneur

  • –  En 2002 : officier du Mérite agricole .

    Serge GEOFFROY 
    Maire de Saint-Clément-de-Régnat

Hommages à Pierre Vandevoorde
de l’Association franco-libanaise pour l’éducation et la culture

Mars 1992 . Après la guerre, Pierre est en mission d’inspection pour l’homolo- gation de plusieurs établissements au Liban . C’est à cette occasion que nous nous sommes rencontrés, alors que je dirigeais l’école Élite de Beyrouth . Nous avons continué à travailler ensemble et rapidement une amitié réciproque nous a réunis . De son amour pour le Liban et de cette amitié, est née l’AFLEC à laquelle nous avons associé Mathieu Agostini .

30 juin 2000 . Pour formaliser notre association, nous avons créé une association de droit français appelée AFLEC qui a rapidement vu croître les effectifs d’élèves de ses établissements ouverts au Liban et aux Émirats arabes unis .

9 novembre 2013 . Pierre, relevant de maladie, a, au prix d’un grand effort, eu le bonheur de venir à Beyrouth pour assister à l’assemblée générale de l’AFLEC . Il y a exprimé son souhait très fort de pouvoir fêter nos 25 ans d’amitié . Sa participation à nos travaux, malgré les graves soucis de santé qui sont les siens, a été pour nous une joie immense .

Rimah HAMMOUD, co-fondateur

Historien, mélomane, poète, Pierre Vandevoorde se définit lui-même comme un globe-trotter de l’éducation . Cette expression ne peut cependant résumer à elle seule presque cinquante années d’activités socio-professionnelles : une longue carrière, au cours de laquelle il a su conduire les activités d’un haut fonctionnaire de l’éducation et celles d’un élu local d’une commune rurale : les unes enrichissant les autres et réciproquement .

Ces activités exceptionnelles lui ont permis d’établir des relations humaines très riches et de nouer des liens profonds et durables . Dans chaque lieu visité, en France ou à l’étranger, son regard d’expert, son professionnalisme et ses qualités d’écoute ont marqué les esprits .

Le reflet de son engagement et des valeurs qu’il a portées se retrouve également au travers des nombreuses associations dans lesquelles il s’est impliqué .

François LE GOFF
Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale
Président de l’AFLEC

Pierre a été longtemps membre du bureau de la Mission laïque française, et il est resté jusqu’à sa mort président d’honneur de l’AFLEC . Il était très attaché à ces deux asso- ciations, dont il suivait, depuis sa retraite à Saint-Clément-de-Régnat, les évolutions .

Le concours que l’AFLEC a mis en place dans les établissements scolaires fran- cophones du Proche-Orient portera son nom . Il avait donné son assentiment à cette décision du conseil d’administration de l’AFLEC et voulait me le dire au téléphone très peu de jours avant son décès .

Bruno HALFF
Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale
Président d’honneur de l’AFLEC

In memoriam Pierre Vandevoorde,
président d’ honneur du Collège Sévigné

Parmi les nombreuses activités qu’il a assurées dans sa longue carrière, Pierre Vandevoorde a pratiqué des responsabilités associatives tant dans sa vie professionnelle que dans son rôle d’élu . Ce fut en particulier le cas au Collège Sévigné, établisse- ment privé laïque fondé en 1880 par le grand linguiste Michel Bréal, fondateur de la sémantique et professeur au Collège de France, et auquel une figure charismatique et tutélaire, Mathilde Salomon, directrice de 1883 à sa mort en 1909, allait conférer pour ainsi dire ses lettres de noblesse . La disparition de Pierre Vandevoorde y a été douloureusement ressentie par l’ensemble des membres de la communauté scolaire, parce que, que ceux-ci l’aient connu de façon directe ou indirecte, il leur a laissé le souvenir d’un éminent président de l’Association chargée de la gestion administra- tive et du suivi pédagogique du Collège . Chacun appréciait, en effet, son esprit de tolérance et sa vaste culture ainsi que ses qualités d’écoute, sa pondération sa mesure, sa délicatesse, son tact, la justesse de son ton et de ses prises de position, et aussi son humour . Pierre Vandevoorde était toujours content de mettre en œuvre tout ce à quoi il tenait et sa présidence avait été dans la continuité de l’homme de qualité qu’il était .

Son prédécesseur, l’inspecteur général André Orsini, en professionnel subtil et avisé, avait songé à lui, après avoir présidé l’Association pendant plusieurs années, pour lui transmettre le relais . Pierre Vandevoorde entra donc au Conseil d’admi- nistration en janvier 1987, en devint le président en septembre 1992 et assura cette fonction jusqu’en septembre 2004 . Lui-même évoque cette période, avec la distan- ciation amusée dont il était coutumier, dans ses Mémoires d’un « globe-trotter » de l’éducation récemment publiés . L’exercice de cette responsabilité, écrit-il, n’était pas un long fleuve tranquille, étant donné des tensions permanentes opposant les enseignants aux parents d’élèves. [...] La participation de personnalités extérieures recrutées par cooptation compliquait davantage cet état de fait pour des raisons n’ayant que peu de rapports avec les objectifs de l’enseignement. Il réussit pourtant à mettre un terme à ces turbulences et à rendre tout son lustre à un établissement apprécié, notamment pour sa préparation aux concours de recrutement des professeurs du second degré . Et c’est d’une triple manière qu’il rétablit la sérénité . D’abord par son autorité propre, à la fois souple et ferme . Ensuite grâce au soutien d’André Orsini et d’enseignants de l’établissement, archicubes comme lui . Enfin, par le recrutement en septembre 1994, d’un proviseur à l’attitude fort intelligente, André Ménard, qui venait de faire ses preuves à la tête d’un lycée difficile dans une commune minière du Pas-de-Calais, qui allait exercer ses fonctions jusqu’en 2003, et dont la successeure, madame Josette Mulet, sut à son tour faire face aux difficultés d’une charge complexe jusqu’à son départ en retraite en septembre 2013 . En choisissant pour successeur le regretté Yves Guérin, ancien doyen de l’Inspection générale de l’enseignement primaire, Pierre Vandevoorde mit un terme de façon judicieuse à sa présidence . Ajoutons que, sous son mandat et à son instigation, on put compter parmi les membres extérieurs qui font partie statutairement du Conseil d’administration, des personnalités aussi marquantes que l’historien et académicien Pierre Nora, Pierre Joxe, ancien ministre et membre du Conseil constitutionnel, Michel Prigent (1970 l), président des Presses Universitaires de France de 1994 à 2011, et Bruno Frappat, ancien directeur du journal La Croix : conjonction surprenante de talents...

Pierre Vandevoorde aura été pour moi, dans mes actuelles fonctions de président de l’Association du Collège Sévigné, un exemple et un mentor, en même temps que l’ami attentionné et délicat, que je connaissais de longue date ainsi que son épouse, Aliette, ancien proviseur notamment du Foyer des lycéennes (l’actuel lycée d’État Jean-Zay) et de la Maison d’éducation de la Légion d’Honneur, et leurs brillantes filles, Mathilde Courtois, proviseur du lycée Lavoisier, et Marie-Adélaïde Nielen, conservateur du patrimoine aux Archives nationales à Paris, spécialiste de l’Orient latin et de sigillo- graphie médiévale, qui a été jadis mon élève en classe de Chartes au Lycée Henri-IV .

Alain ATTALI
Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale
Président de l’Association du Collège Sévigné