Positionnement des ENS
Ce texte a été adopté par le Conseil d'administration de l'a-Ulm. Il est en attente de validation par les deux autres associations d'anciens élèves.
Issue des réflexions d’un groupe de quelques membres des associations d’anciens élèves des trois Écoles Normales Supérieures, cette note tend à faire un point sur le positionnement des ENS.
I. Le contexte actuel : les ENS dans leur environnement.
Les Écoles Normales Supérieures exercent leurs missions dans un contexte en profonde mutation. Le paysage des enseignements secondaire et supérieur est en profonde mutation depuis plus de 40 ans. Notre pays est ainsi passé d'une culture d' « élite » à une culture de masse, qui s'accompagne:
· d’une désaffection des jeunes pour les disciplines scientifiques et d’un engouement des titulaires du bac pour les sciences humaines,
· de difficultés sérieuses à proposer des débouchés professionnels aux jeunes issus de ces formations,
· d'une progression inquiétante de l’illettrisme,
· d'une méconnaissance ou tout au moins d'un manque de pratique des langues étrangères, en particulier de l'anglais.
1. Hier, les E.N.S avaient pour vocation de recruter des étudiants du meilleur niveau dans les disciplines scientifiques et littéraires afin de former des professeurs agrégés pour les lycées et les CPGE. Depuis longtemps déjà, les ENS forment des enseignants du supérieur et des chercheurs ; aujourd'hui plus de 50% des élèves des ENS choisissent de poursuivre leur formation par une thèse (avec ou sans agrégation). Le nombre important de professeurs au Collège de France, de titulaires de charges dans les plus grandes universités mondiales, de ministres, ainsi que de nombreuses distinctions internationales et nationales (6 médailles Fields depuis 15 ans, trois prix Nobel de physique dont un en 2012) démontrent la valeur de la sélection et de la qualité des formations dispensées par les ENS. Elles sont ainsi un élément essentiel du dispositif français de l’enseignement supérieur et de la recherche.
2. Les ENS, établissements de taille réduite, sont désormais insérés dans des pôles de taille plus importante issus de la réorganisation territoriale de l'enseignement supérieur. Elles restent des établissements d'excellence de recherche et d'enseignement, ouverts à l'international. Dans le même temps, on constate une perte d’attractivité de nos Ecoles (dans une ou deux disciplines, les places mises au concours ne sont plus toutes systématiquement pourvues).
3. De plus, le paysage académique se modifie. La structuration traditionnelle en champs disciplinaires (mathématique, physique, chimie, sciences humaines, littérature…) est conjuguée avec des aspects pluridisciplinaires qui tentent d'anticiper les besoins de l'économie et de la société. Les « nouvelles » technologies de l'information sont de plus en plus intégrées aux parcours universitaires et modifient la façon dont se fait la diffusion des savoirs. La sociologie, l'économie et les disciplines littéraires trouvent une nouvelle utilité pour aborder les futurs défis d'une société totalement mondialisée. Les langues étrangères sont devenues une nécessité tant pour les scientifiques que pour les littéraires. Les ENS se tournent vers l'international, elles favorisent le recrutement d'étudiants étrangers et développent des mobilités académiques. Leurs partenariats se développent donc aussi bien avec des établissements proches géographiquement mais à compétences complémentaires qu'avec des universités du monde entier.
II. Les recrutements et les débouchés
1. Historiquement, le recrutement des élèves des ENS s’effectue par voie de concours fondés sur des épreuves écrites et orales afin d’assurer l’égalité des chances, l’anonymat à l’écrit garantissant l'impartialité. La préparation de ces concours, comme ceux des autres grandes écoles, est assurée en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), à quelques exceptions près (dans des disciplines à petit effectif). Les CPGE forment un nombre significatif d’élèves d’une classe d’âge, développant l'esprit de rigueur, le goût du travail approfondi, l’apprentissage de la gestion du temps. Ce type de formation, au début des études universitaires, est fondamental.
2. Depuis plus de vingt ans, la course à la visibilité internationale par la recherche d’une taille critique de nos départements d’enseignement et de nos laboratoires a conduit à accueillir des étudiants non fonctionnaires–stagiaires en formation dans nos écoles (pour l’ENS Lyon, il y a autant d’étudiants que de fonctionnaires–stagiaires ; pour l’ENS-Ulm et l’ENS-Cachan le nombre d’étudiants est a peu près égal à 60% de celui des fonctionnaires–stagiaires). Certains ne suivent qu’une partie des enseignements dans les ENS et d’autres, la totalité du cursus. En outre, de nombreux doctorants extérieurs sont bien sûr accueillis pour leur thèse dans nos laboratoires.
3. La mission originelle des ENS était la formation des enseignants. Il s’agissait d'enseignants agrégés destinés à enseigner dans les lycées, en CPGE, en BTS (et récemment en université sur des postes de Prag). Depuis toujours, un grand nombre de normaliens ont poursuivi leur formation par des thèses, ce qui leur a permis d'accéder aux fonctions de professeurs d’université ou de chercheurs dans les grands instituts de recherche française et internationaux.
4. Par ailleurs, des normaliens, de plus en plus nombreux, ont poursuivi des carrières dans les différents corps de la fonction publique, dans l'administration de l’éducation nationale (chefs d'établissements, inspections) ou dans d’autres ministères (corps préfectoral, corps technique, ENA, … ), dans la recherche parapublique, dans le privé ; d’autres ont envisagé des allers et retour entre public et privé (encore trop rares)
5. Les élèves souscrivent un engagement décennal lié à leur statut de fonctionnaires–stagiaires ; et doivent rembourser leur engagement au pro rata du nombre d’années qu’ils n’ont pas effectuées au service de l'Etat (la liste des affectations considérées comme relevant de celui-ci devrait être définie plus clairement par l'administration et homogénéisée entre les ENS)
III. Propositions
1. Les E.N.S. doivent rester des établissements d’excellence au sein des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur. Par leurs laboratoires de recherche, elles doivent contribuer à la notoriété de la recherche publique française. Par leurs formations innovantes elles se doivent d’attirer les meilleurs, il en va de notre rayonnement national à l’échelle mondiale. Pour favoriser ce rayonnement, il serait bon de faire émerger un « label E.N.S. » qui serait promu par toutes les ENS et qui serait le reflet de la spécificité et de la performance de ce modèle de formation. Les échanges avec des établissements étrangers de renommée internationale en seraient facilités.
2. Par leur taille modeste, les ENS permettent d’assurer une proximité unique entre élèves et enseignants-chercheurs qui fait émerger des spécialistes de très haut niveau ; elles doivent profiter de leur taille et de leur pluridisciplinarité pour proposer des dispositifs pédagogiques innovants. L'accès à une formation pluridisciplinaire au cours de leurs études à l'E.N.S. doit doter les élèves d’une vaste culture générale tout en favorisant le développement d’une grande curiosité intellectuelle : deux atouts indispensables quelle que soit la carrière choisie[1].
3. Les étudiants (non fonctionnaires-stagiaires) sont nombreux dans nos établissements. Pour maintenir l’excellence de nos Ecoles, il faudrait d’une part clarifier la manière dont se fait leur recrutement. Et d’autre part, il conviendrait que le diplôme de sortie (qui pour l’instant a une très faible reconnaissance à l’extérieur) soit accordé de façon plus sélective : son attribution devrait même être très parcimonieuse dans certaines disciplines où les débouchés sont aléatoires. Alors la promotion de ce diplôme pourrait être assurée de manière naturelle par la direction des différentes Ecoles et les associations d’anciens élèves.
4. L’affectation des élèves reçus à l'Agrégation et qui ne se destinent pas à l'enseignement supérieur est une question importante. Lorsque les élèves agrégés ont soutenu une thèse, celle-ci devrait être valorisée lors de leur affectation, y compris dans l'enseignement secondaire ; or l’opacité du traitement actuel ne le permet pas : une thèse soutenue en France comme à l’étranger n’est pas reconnue et les vacations d’enseignement à l’Université sont difficilement validées comme stages. En outre, aucun élève ne devrait être affecté dans un établissement de zone d’éducation prioritaire sans une solide formation préalable qui lui permette de s'adapter à un contexte qu'il ignore totalement .
5. A l’heure où le nombre de postes offerts par l’Université et le CNRS est susceptible de diminuer, les ENS doivent permettre l’ouverture sur des carrières diversifiées, par exemple dans la recherche du secteur industriel, les think-tanks à caractère diplomatique ou géopolitique, les associations d’utilité publique, le secteur para-public, les entreprises innovantes (et la création d’entreprises). Il faudrait de plus favoriser les allers et retours secteur public/secteur privé (tout spécialement pour les enseignants). De nombreux secteurs de notre pays gagneraient ainsi à être irrigués par les anciens des ENS.
[1] On ne permet que difficilement aux élèves d’un département de prendre des unités d’enseignement dans d’autres disciplines à l’ENS Cachan. C’est une incitation forte à l'ENS de Lyon au moins pour les scientifiques. A ENS-Ulm, une très grande liberté est laissée à tous.