VAIREL Hélène - 1957 L
VAIREL (Hélène), née le 31 janvier 1937 à Annecy (Haute-Savoie), décédée le 18 octobre 2013 à Vanves (Hauts-de-Seine). – Promotion de 1957 L.
Le nom d’Hélène Vairel est intimement lié à l’École normale supérieure, où elle a effectué la majorité de sa carrière, transmettant inlassablement à des générations de normaliennes et de normaliens le goût de la linguistique latine, dont elle était une éminente spécialiste .
Née à Annecy, fille d’un médecin militaire, et d’une professeur de sciences naturelles au lycée, Hélène Vairel se distingua très tôt au Concours général, puis, arrivée à Paris pour y entreprendre des études supérieures, entra brillamment à l’ENS-Sèvres en 1957, où elle effectua sa scolarité .
Elle épousa Jean-Paul Carron (1955 s), géologue à l’ENS, et ils eurent une fille, Martine, devenue médecin . Après une brève période à Lyon, elle fut recrutée en 1967 à l’ENS-Sèvres ; elle enseigna dans notre établissement jusqu’à sa retraite en 2001, vivant de l’intérieur toute l’histoire de l’ENS, notamment la fusion Ulm-Sèvres en 1986 . Des problèmes de santé en 1988 entraînèrent une longue convalescence : Hélène Vairel ne pouvait plus parler qu’en chuchotant, mais, faisant preuve d’une énergie peu commune, elle reprit ses cours dès 1989 . C’est à cette époque que je l’ai connue pour la préparation à l’agrégation de grammaire . Avec sa voix si caractéris- tique, Hélène Vairel s’imposait d’emblée comme une enseignante extraordinaire, et tous ceux qui ont suivi ses cours se rappellent avec émerveillement l’intelligence de ses observations, la solidité de sa méthode et ce recul critique qui faisait de chacun de ses cours un moment de véritable interrogation scientifique .
À cette époque, Hélène Vairel avait déjà derrière elle une œuvre scientifique importante, dans laquelle la linguistique latine était renouvelée par des perspec- tives modernes, notamment les théories de Gustave Guillaume . Sa thèse, publiée en 1975, Exclamation, ordre et défense. Analyse de deux systèmes syntaxiques en latin, reste encore aujourd’hui une étude fondamentale portant à la fois sur l’exclamation (accusatif exclamatif, infinitif exclamatif) et sur les énoncés jussifs et prohibitifs (ordre, défense) en latin . Un compte rendu de Christian Touratier dans Gnomon (1978, vol . 50/1, page 413) souligne à quel point cette étude est « menée de main de maître » . Les travaux d’Hélène Vairel prennent place à une époque où la linguis- tique latine cherchait à renouveler ses méthodes . On y sent l’influence de Gustave Guillaume, mais en même temps le respect des données philologiques y est exem- plaire . Plusieurs des articles d’Hélène Vairel sont admirables de finesse et de justesse de vues : sur l’opposition infectum/perfectum en latin (Revue des Études latines, 1978, 56, pp . 380/412), sur la personne en latin (L’Information grammaticale,1979-2, pp . 39/46 et Bulletin de la Société de linguistique de Paris, 1980, 75, pp . 267/283) ou sur les conditionnelles en latin (Bulletin de la Société de linguistique de Paris, 1981, 76, pp . 275/326) . Quand on lit ces travaux, on retrouve ce qui caractérisait Hélène Vairel comme enseignante, une vocation pédagogique très forte .
Ses étudiants se souviennent de sa gentillesse et de sa disponibilité : Hélène Vairel aimait se rendre utile et ne refusait jamais de proposer un cours supplémen- taire, lorsque les étudiants en avaient le besoin . Plusieurs fois, elle assura ainsi un cours de sanskrit devant un auditoire varié . Elle se consacra également à un groupe d’étudiantes japonaises, à qui elle donna dans les locaux du Boulevard Jourdan un enseignement de linguistique appliqué au français ; ses notes sur la langue française furent pour certaines traduites en japonais et diffusées au Japon . Dans le même esprit, elle publia en 1989 un manuel très utile, La présentation matérielle d’un manuscrit dactylographié (Nathan) .
Personnalité attachante, Hélène Vairel avait une vie personnelle très riche et un large cercle d’amitiés . Grande amatrice d’art, elle passait des heures à étudier l’art médiéval, l’iconographie chrétienne, ainsi que la peinture des xixe et xxe siècles et les témoignages d’écriture du monde entier . Plus encore, elle était une grande voyageuse, parcourant le monde infatigablement de l’île de Pâques au pôle Nord . Avec Suzanne Saïd, elle a traversé la Sibérie post-stalinienne, admiré le lac Baïkal et mesuré la diffi- culté de l’alimentation dans les marchés . Elle a aussi voyagé en Amérique du Sud, au Pérou, en Bolivie et en Équateur : elle a fait l’ascension du Machu Picchu, et de là est partie en bus jusqu’à la Patagonie . Son dernier voyage fut encore plus risqué : c’était l’Iran en 2009 . Chacun de ses voyages donnait lieu à la rédaction de carnets très bien tenus et qui faisaient l’admiration de tous ceux qui connaissaient leur existence .
La fin de la vie d’Hélène Vairel fut assombrie, à partir de 2008, par la maladie . Ses étudiants gardent d’elle le souvenir d’une linguiste exceptionnelle, d’une pédagogue sensible et ouverte à la nouveauté, d’une enseignante de premier ordre qui faisait honneur à notre établissement .
Daniel PETIT (1988 l)
avec la collaboration de Suzanne SAÏD (1958 l),
Anne-Marie CHANNET (1961 l) et Jean LALLOT (1959 l)