MAUSSION de FAVIÈRES Jacques-Ghislain - 1953 l

MAUSSION de FAVIÈRES (Jacques-Ghislain de), né le 14 janvier 1929 à Avrillé (Maine-et-Loire), décédé le 18 janvier 2018 à Paris.– Promotion de 1953 l.


Jacques-Ghislain de Maussion de Favières voit le jour le 14 janvier 1929 à La Boissière, demeure familiale du côté de sa mère, située à Avrillé, dans le Maine-et-Loire . Il est le deuxième enfant d’une fratrie qui lui offre trois sœurs . Son père travaille dans les assurances . Sa mère est une femme de caractère .

En 1936, il entre dans l’établissement Saint-Maurille, à Angers . Il y effectuera sa scolarité, du primaire au secon- daire, dans un contexte de Seconde guerre mondiale . Tout en étant épargné, le jeune Ghislain sait le domaine où il a vu le jour occupé, voit son père partir à la guerre (il en reviendra et sera affecté au service départemental du ravitaillement), perd des oncles, entend parler sous le nom de Leclerc des exploits d’un autre . Il développe une particulière tendresse pour sa sœur aînée, très présente à ses côtés au cours de ces années .

Cet attachement profond aux siens, allié à une impérieuse soif de s’en détourner pour mieux se tourner vers des ailleurs, devait constituer une des clés de son existence : s’il a éprouvé l’appel du lointain et l’a écouté, son ancrage familial a toujours constitué le socle sur lequel il s’est bâti, en empruntant diverses voies.

Les années de lycée, qui s’accompagnent d’un intense investissement sportif (hockey sur gazon au SCO, le club sportif de l’Ouest, angevin, et course à pied), se soldent par l’obtention de deux baccalauréats : en 1946, le baccalauréat de philoso- phie ; l’année suivante, celui de mathématiques (1947) . Un enseignant le distingue, ses parents se laissent convaincre d’envisager pour lui des études supérieures . Il sera inscrit à l’université catholique de l’Ouest . S’interroge . Et demande à être admis en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, qu’il rejoint comme interne en 1948 . En deux temps, car une maladie le force à revenir chez les siens pour se soigner . Et pour mieux repartir vers Paris et la rue Saint-Jacques .

Il y rencontre Jacques Derrida (1952 l), Pierre Bourdieu (1951 l), qui lui aura alors laissé le souvenir d’une explication remarquable d’un texte espagnol . Les maîtres sont là : « le maître Alexandre », Jean Hyppolite (1925 l) . Les jeunes disciples de l’époque se souviennent peut-être de l’anecdote qui veut que, l’un d’entre eux, Paul Balta, se proposant d’expliquer un passage de La Phénoménologie de l’Esprit, Hyppolite l’interrompe aussitôt : « Ah, non ! Non ! Hegel, c’est moi ! » .

Il est admis à l’ENS en 1953, retrouve rue d’Ulm ses condisciples de classes préparatoires Bourdieu, Derrida . Il rencontre Michel Serres (1952 l), échange des conversations teintées de respect mutuel avec Robert Abirached (1952 l), Paul Veyne (1951 l), Gérard Genette (1951 l), dont il apprécie l’humour et dont il suivra les travaux fidèlement en initiant plus tard des étudiants à la narratologie . Comme pour un grand nombre des élèves de la rue d’Ulm, le caïman Louis Althusser (1939 l) exerce une grande influence sur lui . Au sein des amis des lettres et des humanités qu’ils sont tous, s’esquisse déjà le cercle des voyageurs, Gilbert Dagron (1953 l), Michel Crouzet (1948 l) ou Robert Turcan (1952 l) .

Les études ont repoussé le moment de son appel pour la guerre d’Algérie et c’est en 1956, l’année même où le jeune Kateb Yacine publie Nedjma – dont la poésie étoilée l’éblouit – qu’il doit partir au combat dans les Aurès . Comme chasseur alpin, il servira pendant dix-huit mois dans une guerre qu’il juge injuste et dont il restera traumatisé . C’est aussi le point de départ de son attirance pour une culture qu’il découvre et vers laquelle il n’aura de cesse de se tourner .

Si son intérêt pour la culture arabe et berbère a été éveillé en Algérie, son goût pour les lettres gréco-latines, héritage familial, n’en demeure pas moins présent : à son retour en France, il présente en candidat libre l’agrégation de lettres classiques à laquelle il est brillamment reçu en 1958 .

Et demande aussitôt un poste d’enseignant à l’étranger .

C’est ainsi qu’il prend ses fonctions au lycée de Fès au Maroc . Il y restera deux ans, qu’il consacre aussi à sillonner le pays, tout en maintenant son intérêt partagé entre la culture de l’Afrique du nord et celle des lettres classiques . Il visite ainsi l’actif et rayonnant monastère de Tioumliline, et revient à Azrou à la demande du père abbé pour dispenser des cours de latin aux moines bénédictins . Il fait aussi la connaissance d’Ahmed Sefrioui . Les contes et nouvelles du Chapelet d’ambre (1949) et les souvenirs de La Boîte à merveilles (1954) convoquent volontiers les ruelles de la médina de Fès . Jacques (prénom qu’il privilégie sur celui, familial, de Ghislain) partage avec le « Loti marocain » l’amour des lettres et celui des pierres que l’histoire s’est chargée de polir . Il entreprend également très vite l’apprentissage de la langue arabe, classique et dialectale, en autodidacte . Et dans le même temps multiplie les clichés photographiques et se documente de façon très active sur les éléments du patrimoine architectural islamique .

En 1960, il décide de remonter la course du soleil et de prolonger sa découverte du Maghreb par celle du Machreq en se portant candidat pour un poste à l’université de Damas . Il enseigne dans le département des lettres françaises et participe dans le même temps à des travaux de recherche au sein de l’Ifpo (Institut français du Proche-Orient) sur place . Son étude sur les hammams publics de Damas, « Note sur les bains de Damas », illustrée de clichés photographiques, est alors publiée dans le Bulletin des Études Orientales (tome XVII, 1961-62) . Il commence aussi à se passionner pour la numismatique, en ce que les monnaies sont porteuses d’histoire et évocatrices de transactions humaines .

Sa rencontre avec Nikita Elisséeff, alors directeur-adjoint de l’Ifpo, date de cette même période syrienne . Leur amitié se poursuivra par-delà les années, en la personne de Valéry, le fils du professeur d’histoire islamique, son filleul . D’autres liens forts se nouent avec Pierre Lavergne, normalien de Saint-Cloud, qui devient son coloca- taire et décèdera de façon tragique quelques années plus tard alors qu’il occupait un poste en Jordanie . Tout au long de sa vie, Ghislain évoquera son souvenir avec une authentique émotion .

Deux ans plus tard, en 1963, il est détaché de l’Éducation nationale et rejoint le ministère des Affaires étrangères .

Dans un contexte de reprise des relations diplomatiques entre la France et l’Irak, sous la république des frères Aref, il est nommé en 1963 conseiller culturel et de coopération technique à Bagdad, aux côtés de l’ambassadeur Jacques Dumarçay . À ce titre, Jacques de Favières (forme abrégée de son nom qu’il favorise à ce moment de sa vie) a en charge la Coopération universitaire et le Centre culturel français, dirigé alors par Henri Marchal, nommé plus tard directeur du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie, depuis disparu avec la création du Musée du quai Branly . Ses années passées en Irak sont celles de la venue à Bagdad d’orientalistes français de renom, parmi lesquels les professeurs Berque, alors titulaire de la chaire d’histoire sociale de l’Islam contemporain au Collège de France, et Blachère, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et de l’Institut d’études islamiques de l’université de Paris, traducteur « critique » du Coran . Sa grammaire de l’arabe « La Blachère », outil du quotidien, lui permit de conserver intacte sa pratique écrite et parlée de la langue arabe littéraire tout au long de sa vie .

Assumant ses fonctions de diplomate sans que cela constitue son trait de caractère dominant, il est avant tout orientaliste passionné, comme en témoigne son ouvrage Damas. Bagdad. Capitales et terres des califes (Beyrouth, Dar el Machreq, 1971), qui avait pour point de départ un article et qu’il publiera des années plus tard . Il y fait un éloquent parallèle entre les deux cités, « dont les noms semblent s’appeler l’un l’autre », montre leurs affinités sans négliger leurs divergences . L’ouvrage, dont Nikita Elisséeff fait le compte-rendu scientifique (Cahiers de Civilisation Médiévale, 1973,  16-63, p . 251-254), comporte plus d’une centaine de reproductions – jugées par lui parfois décevantes – de sa précieuse collection de photographies et inclut, notam- ment, de remarquables agrandissements de monnaies arabes frappées à Damas ou Bagdad . Cette documentation photographique est utilisée à des fins de recherche portant sur des patrimoines mondiaux aujourd’hui endommagés ou disparus .

C’est aussi à Bagdad qu’il fait la rencontre de Nawal Saour, irakienne, comme lui voyageuse entre l’Orient et l’Occident et passionnée de langues . Elle est traductrice à l’Ambassade de France, de l’arabe, sa langue maternelle, vers le français et l’anglais et travaille alors auprès de l’ambassadeur Pierre Gorce (1936 l), en poste depuis 1967 . Il l’épouse en juillet 1970, à Bagdad . Ils quittent ensemble l’Irak quelques mois plus tard .

Jacques de Favières réintègre le ministère de l’Éducation nationale en demandant de nouveau un poste à l’étranger ; il est nommé inspecteur d’Académie, à Brazzaville . Le couple doit alors faire face à la perte de leur premier enfant, qui ne vivra que quelques heures . L’année suivante, en 1972, naîtra sa fille, Sylvie, en hommage à Nerval, à Beyrouth, où la mère de Nawal a un appartement .

À Brazzaville, il travaille en étroite collaboration avec Henri Lopes, dont l’ouvrage francophone Tribaliques est lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire en 1972, alors premier ministre de la République du Congo (1973-1975), et qui sera ambassadeur en France de 1998 à 2015 .

Il demande un poste en Algérie, ne l’obtient pas et rentre en France en 1976 .

Après avoir exercé un an à Luchon, il s’installe à Toulouse, où naîtront ses filles Sabine (1977) et Florence (1979) dont les noms évoquent son goût pour la civilisation romaine . À la collection de clichés des monuments d’Orient s’ajoute celle, des églises romanes d’Occident, à la recherche desquelles tout déplacement est prétexte . Il a le plaisir de retrouver Jean Pradines (1954 s), professeur à l’université Paul-Sabatier .

Il enseigne dans le secondaire, au lycée Raymond-Naves, qu’il qualifie de lycée- pilote, qui compte de nombreux élèves sportifs et dont il apprécie les méthodes dynamiques et innovantes ; il se dévoue à ses élèves qui, de leur côté, lui vouent autant de respect que d’affection . Il assure aussi une charge de cours à l’université du Mirail, en narratologie, et explore avec une passion transmissible les perspectives ouvertes par ce champ d’études . Son humour fin, volontiers teinté de cynisme, rend son savoir accessible, stimulant .

Croix de la Valeur militaire suite à une blessure en Algérie, Chevalier de l’Ordre National du Mérite, il est fait Officier des Palmes académiques .

En 1990, il s’installe à Paris et renoue avec plusieurs de ses camarades, comme Gilbert Dagron, Robert Turcan, Paul Balta . Passionné par la politique extérieure, il suit de très près l’actualité du Machreq, ainsi, avec émotion, que les pas de sa fille Sabine, qui partage son intérêt pour cette région .

Ces années de retraite sont aussi l’occasion d’entreprendre l’édition annotée de trois récits de voyages . Il en publiera deux, dans la collection Manuscrits retrouvés des Éditions Kimé : Les Voyages et observations du Sieur de La Boullaye-Le Gouz (1994), qui retrace les aventures au Proche-Orient d’un seigneur angevin au xiie siècle, et Mémoires du Chevalier d’Arvieux, se concentrant à la même époque sur le voyage à Tunis du chevalier, envoyé extraordinaire du Roy à la Sublime Porte, consul d’Alep, d’Alger, de Tripoli, et autres Échelles du Levant . Il caressait le dessein de publier enfin un troisième récit de voyage qui aurait pour cadre l’Afrique, troisième et dernier pôle de ses incursions . Il en a été empêché par la douloureuse maladie qui l’a progressive- ment privé de tout ce qu’il aimait, la lecture, l’écriture et enfin la parole, mais jamais de son épouse, de ses filles et petits-enfants . Tous ceux qui l’ont connu témoigneront de sa droiture, de sa grande humanité et de sa volonté de toujours prendre la défense des victimes d’injustices, des minorités . Cela, à sa manière, singulièrement dégagée de toute considération matérialiste ou carriériste .

Sabine et Sylvie de MAUSSION, ses filles