BAILLAUD Benjamin - 1866 s
BAILLAUD (Benjamin), né à Chalon-sur-Saône (Saône-et- Loire) le 14 février 1848, décédé à Toulouse (Haute-Garonne) le 8 juillet 1934. – Promotion de1866 s.
Benjamin Baillaud, mon grand-père, était fils d’un employé de mairie. Une bourse lui permit d’aller jusqu’au baccalauréat. Ses maîtres lui conseillèrent de demander à être maître d’études dans un collège ou un lycée. Ce n’était pas son intention. Son père, né près d’Arbois, avait connu la famille de Pasteur, alors un des responsa- bles de l’École normale ; Benjamin souhaitait entrer dans cette École. Il lui fallait aller à Lyon s’y préparer. Sa bourse fut prolongée ; un frère de son père s’installa à
Lyon, y prit un emploi et logea Benjamin pendant ses deux années d’études au lycée. Il fut classé seizième pour onze places mises au concours et treize candi- dats qui seront admis ; du fait des désistements on reçut jusqu’au vingt-cin- quième ; il est huitième des entrants.
L’École fut pour lui « un sanctuaire » ; la vie y était monacale ; il n’y connut guère personne d’autre que ses camarades de la section des sciences. En juillet 1867, il participa au départ collectif des élèves de l’École, manifestation hostile au gouvernement impérial ; il revint à la rentrée suivante. Il se fit des amitiés exceptionnelles, le futur physicien Bouty, dont il épousa la belle-sœur Hélène Pons, et le futur mathématicien Tannery, qui épousa sa sœur Esther Baillaud. Les trois beaux-frères siégèrent plus tard à l’Académie des sciences ; ils avaient en commun le goût pour la science, le sens du civisme, l’aversion des flatteries inté- ressées et des louvoiements à la recherche du favoritisme ; leurs descendants per- pétuent une réelle affection mutuelle. Benjamin bénéficiait aussi de tout le réseau cordial des normaliens.
En 1869, il fut reçu à l’agrégation de mathématiques et nommé au lycée de Montauban. Il était « avec plus ou moins d’hésitation, catholique pratiquant et il n’a jamais cessé de l’être » (écrit vers 1930). Sollicité pour entrer dans une loge maçonnique, il refusa. Il a toujours eu « une grande répugnance à faire partie d’un groupement ».
Par ailleurs, sur un tout autre plan, en tant que fonctionnaire de l’État, il croyait avoir des devoirs particuliers, sans que cela « allât à l’aliénation de sa liberté ». Plus tard, pendant l’affaire Dreyfus, son beau-frère Tannery signa le « Manifeste des intellectuels » favorable à Dreyfus ; Benjamin le regretta : un agent de l’État ne devrait pas prendre parti publiquement, même avec raison, contre le Gouvernement, son employeur. Devoir de réserve.
Au printemps de 1870, Benjamin a assisté à une réunion politique tenue par les députés républicains Jules Simon et Jules Ferry, qui insistaient sur la liberté politique dont doivent jouir les fonctionnaires.
Après Sedan, une garde nationale fut organisée dont il eut le commandement. Il participa à la fondation d’un quotidien, Le Républicain de Tarn-et-Garonne, qui prenait parti contre le député bonapartiste Prax-Paris. On demanda le départ de Benjamin et Jules Simon, devenu ministre, le nomma à Saint-Quentin.
Au lycée de Saint-Quentin, il eut à faire le discours de distribution des prix : ce fut une critique violente de l’Empire déchu, époque où chacun aspirait à vivre de ses rentes sans rendre service à la société. Si les Prussiens avaient gagné la guerre, c’est que l’Allemagne était garnie d’universités florissantes : la France devait en faire autant.
C’est à cette époque qu’il fit la connaissance de sa future femme, qu’il épousa en 1873.
Il fut nommé à Paris, en 1872, avec, simultanément ou non, un travail à l’Observatoire (élève astronome, aide-astronome), à la faculté des sciences (École des hautes études, suppléance de Le Verrier dans la chaire d’astronomie) et dans divers lycées (cours d’École navale, mathématiques élémentaires, mathé- matiques spéciales aux lycées Saint-Louis, Louis-le-Grand, Charlemagne, Fontanes).
En 1872, il écrivait dans sa correspondance : « j’ai toujours eu au fond du cœur un peu de vanité et beaucoup d’ambition. Je travaillerai autant qu’un homme peut le faire et si l’on a besoin de moi, on me trouvera prêt à mettre mon savoir au service de la science et de mon pays. » Il précisait : « j’ai toujours été ambi- tieux, bien que j’aie oublié d’être intrigant » (1873).
Nommé à Toulouse à la rentrée de 1878, chargé de cours à la faculté des scien- ces et chargé de la direction de l’Observatoire, il est titularisé l’année suivante. Son foyer comptait quatre enfants ; quatre autres naquirent les années suivantes ; deux devinrent astronomes, Jules, astrophysicien, et René spécialisé dans la mesure du temps, l’un membre et l’autre correspondant de l’Académie des sciences.
Dès 1879 on lui propose, et il accepte, d’être doyen de la faculté (les doyens n’étaient pas élus mais nommés). Cette charge administrative est venue trop tôt, a-t-on pensé, à un âge où il aurait mieux valu, pour sa réputation scientifique, qu’il consacre un maximum d’activité à des travaux de recherche. Il avait 31 ans, le plus jeune de ses collègues, 57 ans.
Des élections municipales se préparaient ; il fut candidat, il y eut ballotage mais il ne se présenta pas au deuxième tour : pourquoi ? C’était à la demande de sa femme, qui lui disait que son avenir était dans la science et non dans la politi- que. Il ne fit plus de politique, tout en gardant de la sympathie pour les idées socialistes ; il regrettait pourtant que des hommes aux idées si généreuses « ne sachent pas faire les additions ». En 1891, il écrivait à sa femme : « je puis dire hautement que ma vie vraie est en toi et en mes enfants, qui sont nôtres ».
Peu après sa nomination décanale, un scandale éclata à Toulouse. Pour mille francs on avait la certitude d’être reçu au baccalauréat. Un professeur dut démis- sionner. De ce fait, une chaire de mathématiques était vacante. Le nouveau doyen, Baillaud, indigné, décida de recruter le plus haut possible. Il fit nommer chargé de cours à Toulouse un jeune maître de conférences de la Sorbonne, Émile Picard (1874 s), futur secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Picard ne resta que deux ans à Toulouse, assez pour y déclencher une forte acti- vité mathématique durable.
Par la suite, Baillaud veilla à attirer à Toulouse les personnalités les plus quali- fiées. Jules Tannery, en poste à l’École normale, l’aidait à repérer les vraies valeurs. Par exemple, comme mathématiciens et comme physiciens, il fit venir à la faculté de Toulouse Brillouin (1874 s), Sabatier (1874 s) futur prix Nobel, Goursat (1876 s), Kœnigs (1879 s), Andoyer (1881 s), Cosserat (1883 s), Vessiot (1884 s), Cotton (1890 s), Stieltjes, etc., sans oublier les autres sciences. Il fit dou- bler le nombre des chaires, construire des bâtiments dignes ; il organisa la prépa- ration à l’agrégation. Les études médicales manquaient de bases scientifiques, que les facultés de médecine n’étaient pas en mesure de donner. Pouvait-on char- ger les facultés des sciences d’une année d’enseignements scientifiques avant les études de médecine ? Un essai fut fait à Toulouse en 1891, qui fut concluant. On a dit que c’était la première fois que le Ministère faisait une expérience avant de décider une réforme (le PCN devenu PCB, etc.)
Durant son décanat, Baillaud avait pratiquement refondé la faculté des scien- ces de Toulouse. Il avait été largement aidé par le recteur Perroud (1857 l) et encouragé par son ami Liard (1866 l), le directeur de l’Enseignement supérieur, son condisciple de l’École normale. Mathématicien de tempérament, il publia en particulier des travaux sur l’astronomie de position, la mécanique céleste et diver- ses observations, ainsi qu’un Cours d’astronomie en deux volumes. Il dota l’Observatoire de plusieurs bons instruments ; il dirigeait le travail du personnel comme dans une usine minutieusement réglée. C’était devenu le principal obser- vatoire de province. Il l’engagea dans la participation à la Carte photographique du Ciel, première grande entreprise astronomique internationale, qui, malgré son intérêt, se révéla être un château en Espagne, très vaste et très lointain.
Il organisa la station astronomique du pic du Midi, annexe de l’observatoire de Toulouse, à 2865 m d’altitude. C’était l’observatoire le plus élevé du monde, si l’on excepte la station météorologique du mont Blanc. Il y fit construire, sous sa surveillance directe, une maison d’habitation et une tour destinée à porter une coupole ; il fit monter la coupole et un grand équatorial par des détachements d’artilleurs de Tarbes. L’établissement a permis de nombreux travaux d’astro- physique.
La direction de l’observatoire de Paris fut vacante en 1907. Baillaud fut can- didat. Quitter Toulouse lui était pénible ainsi qu’à sa famille mais il considérait l’ambition comme un devoir social, l’ambition de faire de son mieux. La candi- dature fut âprement disputée. Pour L’Écho de Paris, il n’était qu’un ancien profes- seur de lycées et collèges ayant l’astronomie comme violon d’Ingres et soutenu par les loges et les radicaux-socialistes. Il fut nommé et occupa le poste de 1908 à 1926, période cisaillée par la Grande Guerre.
Il développa la stature internationale de cet observatoire : en 1909 une confé- rence de la Carte du Ciel, en 1911, celle des Éphémérides. En 1911-1912 il par- ticipa aux premières déterminations des longitudes utilisant la radio ; en 1912, une conférence internationale aboutit à la création, à Paris, du Bureau internatio- nal de l’heure, centralisant la détermination de l’heure à l’échelle mondiale.
L’astrophysique faisait alors de grands progrès hors de France. Paris devait y participer largement. Il visita divers importants observatoires étrangers et projeta de construire, en dehors des fumées de la ville, une annexe de l’observatoire de Paris ; cela ne put aboutir et il en fut amer.
En juillet 1919 furent créées les Unions scientifiques internationales, et d’abord l’Union astronomique internationale, dont Baillaud fut le premier prési- dent élu. C’est lui qui avait proposé le mot Union. Les autres domaines scientifi- ques ont également leurs Unions. Il disait que ces Unions contribuent « à l’en- tente par en haut » entre les peuples.
Le Ministère lui demanda de rester en activité jusqu’au 31 décembre 1926 ; il avait près de 79 ans ; il était grand officier de la Légion d’honneur, docteur hono- ris causa de l’université de Cambridge, lauréat de la médaille américaine Bruce, la plus haute distinction attribuée à un astronome. Il prit sa retraite à Toulouse, où il retrouvait sa sœur Emma et ses enfants Madeleine et Henri, qui ont veillé sur lui jusqu’à sa mort.
Lucien BAILLAUD