VERLET Loup - 1949 s
VERLET (Loup), né le 24 mai 1931 à Paris, décédé le 13 juin 2019 à Gometz- le-Châtel (Essonne). – Promotion de 1949 s.
Dès son admission à l’École normale supérieure en 1949, Loup Verlet s’intéresse à la recherche en physique en parti- cipant aux sessions fondatrices de l’École de Physique des Houches et, à cette occasion, devient l’un des premiers membres du groupe de physique théorique dirigé par Maurice Lévy. Loup Verlet commence ses travaux scien- tifiques dans les domaines de la physique des particules et de la physique nucléaire lors d’un séjour dans le groupe du professeur Victor Weisskopf au département de physique
du MIT. À son retour des États-Unis, en juin 1957, Loup soutient sa thèse de doctorat : Contribution à l’étude du modèle optique, complétée, comme de règle à l’époque, par une deuxième thèse, dite Proposition donnée par la Faculté, intitulée : Propriétés d’un gaz de sphères dures. On peut s’étonner de cette proposition, mais peut-être était-elle l’écho de la Conférence de Bruxelles de 1956 où fut présentée la première étude par simulation numérique d’un tel système.
À la fin des années cinquante, devenu le Laboratoire de physique théorique et hautes Énergies (LPTHE), le groupe de physique théorique de Maurice Lévy quitte l’École normale pour la nouvelle faculté des Sciences créée à Orsay. Pendant cette période Loup Verlet s’oriente vers la physique statistique et publie un article où il établit une équation pour le calcul des propriétés thermodynamiques et structurales des fluides. L’équation sera connue comme Hyper Netted Chain (HNC), selon un jargon typique des approximations perturbatives diagrammatiques alors en vogue en physique théorique. Dérivée simultanément et indépendamment par d’autres auteurs, elle rendait compte avec une bonne précision des propriétés des gaz de densité faible et modérée. L’enjeu devint alors d’estimer si ce résultat satisfaisant s’étendait aux phases fluides de densité élevée comme les liquides. Ces vérifications reposaient sur la résolution numérique de l’équation HNC, sa non-linéarité excluant une solution analytique. Celle-ci fut réalisée en utilisant les ordinateurs du centre de calcul de la faculté d’Orsay que Maurice Lévy et Loup Verlet avaient contribué à créer et dont Loup Verlet assura la direction durant quelques années.
C’est en ce début des années soixante que se développe en physique statistique la possibilité d’établir la validité d’approximations théoriques en comparant leurs prédictions aux résultats de simulations de systèmes atomiques modèles. Utilisant les résultats publiés pour un système de sphères dures par Berni Alder et ses collabo- rateurs, Loup Verlet et ses étudiants en thèse quantifièrent l’écart entre l’équation d’état du système de sphères dures et son estimation obtenue de l’équation HNC. Pour pallier les divergences constatées, Loup proposa un schéma de corrections systématiques à HNC et à une équation similaire dite de Percus et Yevick (PY).
Lors de la décennie soixante, la puissance des ordinateurs progresse rapidement ainsi que leurs facilités d’utilisation ; leur accessibilité à la recherche civile et universi- taire conduira à un saut qualitatif dans l’apport novateur des simulations numériques à la physique statistique. En 1966-67, Loup est invité par Joël Lebowitz à la Belfer Graduate School of Science de l’université Yeshiva à New York ; il publie deux articles qui constituent une contribution majeure à cette évolution scientifique. Ces articles présentent les résultats de la simulation numérique d’un système de parti- cules en interaction effectuée par la méthode de dynamique moléculaire, c’est à dire par l’intégration des équations du mouvement des particules. L’une des originalités et pertinences de ces articles tient à la proposition d’effectuer cette intégration avec un algorithme qui assure une excellente stabilité des grandeurs conservées (énergie, impulsion totale, ...), en particulier grâce à sa réversibilité en temps. Aujourd’hui cette contribution est toujours reconnue et associée au nom de Loup ; l’algorithme de Verlet (Verlet algorithm) est sans ambiguïté identifié par tout physicien du domaine des simulations numériques. À son retour de New York, Loup Verlet anime le groupe de physique statistique du LPTHE. Créant une dynamique, productive et amicale collaboration avec et entre les membres du groupe, Loup les fait bénéficier au quoti- dien de son intuition de ce qu’il est bon et favorable d’entreprendre, développant ainsi avec plein succès la voie nouvelle en physique statistique dont il est l’un des initiateurs. Tous ces travaux à Orsay s’effectuent en relation avec la communauté internationale des physiciens qui se crée en contribuant activement aux progrès des simulations numériques.
Les années soixante-cinq soixante-quinze sont pour beaucoup de physiciens, en particulier des théoriciens, une période de grand progrès, mais aussi un temps où des scientifiques s’interrogent sur les conséquences d’une croissance économique exponentielle, clairement insoutenable indéfiniment. Il apparaît à Loup Verlet, comme à d’autres scientifiques, qu’il devient essentiel de contribuer à la réflexion sur les problèmes sociologiques et écologiques qui ne peuvent manquer d’advenir si cette croissance n’est pas infléchie. Loup Verlet ne consacre dorénavant qu’une part de son activité à la recherche en physique ; il réunit un groupe d’amis et collè- gues dans l’association Adret qui publie deux ouvrages : Travailler deux heures par jour et Résister, analysant concrètement les conséquences néfastes d’une société soucieuse de la seule croissance de la consommation. Adret sous l’impulsion de Loup participe au mouvement suscité par des scientifiques du climat afin de convaincre les opinions publiques et instances politiques de l’urgence à contrôler le changement climatique induit par les développements industriels et écono- miques. Adret publiera sur cette thématique : Le changement climatique : aubaine ou désastre ? et La révolution des métiers verts.
Tout en s’impliquant dans les débats de société et écologiques, Loup Verlet s’investit dans des séminaires, articles et publications dans la recherche en épisté- mologie. Sa compétence de physicien théoricien et sa pratique de la psychanalyse lui permettent de faire une étude approfondie de la création du savoir scienti- fique. Dans son livre La malle de Newton, Loup examine l’élaboration par Newton de la théorie fondatrice de la physique. Il montre de manière très documentée que la rigueur logique mathématique et l’accord revendiqué de la théorie avec les faits observables de Philosophiae naturalis principia mathematica ne doivent pas masquer l’extraordinaire changement, impliqué par l’œuvre de Newton dans les conceptions philosophiques et religieuses de l’époque. Cette analyse, Loup la déve- loppera dans Chimères et paradoxes, dont le sous-titre : Comment penser le monde où nous vivons ? et cette citation (pages 15 et 16) caractérisent la thématique et le projet : « Le développement des théories-cadres [de la physique] fournit un modèle du développement du psychisme humain : telle est la thèse que je soutiendrai ici. [...] je ne viserai donc pas à faire une théorie générale du psychisme humain, mais seulement à dégager par transposition un certain nombre de traits saillants [...] grâce à l’approche psychanalytique qui m’est familière. »
Les contributions de Loup Verlet à la physique statistique sont de premier plan et reconnues comme telles, ses recherches en épistémologie constituent une contribu- tion originale et argumentée et ses publications avec le groupe Adret une participation à la prise de conscience de l’urgence de confronter les enjeux sociaux, écologiques et climatiques actuels. Loup a ainsi activement œuvré dans des domaines variés tant celui de la recherche fondamentale que celui très concret des problèmes de la société de notre temps. Tous ces travaux, pour bien de ceux qui y ont participé, ont été le moment où ils se sont créé de grandes amitiés avec Loup.
Dominique LÉVESQUE, Jean-Pierre HENSEN, Jean-Jacques WEIS
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J’ai rencontré Loup aux Houches en 1951. En 1952, ma sœur, Cécile Morette- Dewitt, fondatrice de l’École d’été de physique théorique des Houches, m’avait demandé de venir l’aider et c’est là que j’ai mieux connu Loup qui a suivi les cours pendant deux étés de suite. Ayant des goûts communs pour la montagne et l’atten- tion aux autres, nous avons décidé de nous marier.
Ici, je voudrais simplement parler de Loup jusqu’à son entrée à l’École normale, car la période de l’École normale est couverte par André Martin. Loup découvrit sa passion des sciences, lors de vacances d’été où un ami de son père, Édouard Noetzlin, lui fit découvrir le monde scientifique qu’il soutenait. Cette découverte donna à Loup l’envie de devenir physicien pour comprendre le monde. Cette envie et ce projet seront le fil conducteur de sa carrière de physicien, psychanalyste et auteur d’ouvrages en histoire des sciences et d’écrits humanistes et écologiques.
Né dans une famille de conservateurs de musées, Loup Verlet fut obligé de suivre des études de lettres classiques. Pour s’en libérer, il décida de passer les deux sessions du baccalauréat de l’époque dès les classes de seconde et première. Lorsque Loup annonça à son père son désir de passer un baccalauréat scientifique, Pierre Verlet n’accepta qu’à la condition qu’il fasse sa terminale au lycée français de Londres pour perfectionner son anglais.
Rentrant en France, toujours motivé pour devenir physicien et chercheur, Loup souhaite intégrer l’École normale supérieure et s’inscrit aux classes préparatoires du lycée Louis-le-Grand. Loup le disait toujours : son passé de lycéen littéraire faisait qu’il était vraiment le plus nul de la classe. Il fit le choix de présenter le concours de l’École normale supérieure dans la section biologique moins demandée que celle de physique. Il passa le concours dès la première année de classe préparatoire et le réussit grâce à toutes les connaissances acquises personnellement hors programme du concours.
Marianne VERLET
Mon ami Loup Verlet
J’ai rencontré Loup à l’automne 1949 lorsque nous avons été admis à l’École normale. On nous avait attribué des « thurnes » dans le « Palais » et rapidement nous avons formé un groupe très solidaire. Nous nous appelions « le gang du Palais ». Il y avait Loup Verlet, Michel Gourdin, Lucien Godefroy, Jean-Claude Pebay-Peyroula, Bernard Jancovici (« Janco »), Jacques Winter et, accessoirement, Joseph Cohen.
Nous nous faisions des cours pour compléter l’enseignement déficient de la Sorbonne. Nous avons fait aussi quelques canulars comme, par exemple, faire décou- vrir par le général commandant l’École polytechnique que les élèves de l’X avaient organisé un bal clandestin le jour de la Sainte-Barbe.
Nous sortions beaucoup ensemble, allions au concert, guidés par les plus doués en musique, Gourdin et Verlet pour la musique classique et Winter pour le jazz. Nous faisions du rocher à Fontainebleau guidés par Janco qui avait été éduqué au GUMS (une organisation paracommuniste). Peu avant Noël, Loup découvrit un chalet très primitif à Saint-Jean-de-Sixt près de La Clusaz, nous y avons fait du ski, et cela resserra les liens entre nous.
Loup et moi devînmes très amis. Nous étions invités chez nos parents respectifs. Il y avait des surprises-parties. Mais surtout, Loup et moi, réussîmes à aller à la première École d’été des Houches en 1951.
Nous travaillions très dur ensemble mais partions faire des courses en montagne les week-ends. Loup et moi avons osé poser notre candidature pour retourner à l’École des Houches l’été 1952 et, je ne sais pas pourquoi, nous avons été pris. Je pense que Cécile Dewitt a trouvé que nous avions une bonne tête.
Nous étions tous les deux fascinés par la physique des particules, et voilà qu’un dimanche, alors que nous remontions de la messe au village avec Maurice Lévy, celui-ci nous dit qu’Yves Rocard (1922 s) lui avait demandé de fonder un groupe de physique théorique au labo de l’École normale. Il nous a proposé d’en faire partie et nous avons accepté. Loup et moi sommes ainsi les deux premiers membres du groupe théorique dirigé par Lévy. Pour Loup ce fut aussi la rencontre avec Marianne, la sœur de Cécile.
Nous avons commencé à faire des calculs pour Lévy avec une monstrueuse machine Marchand (moins bien qu’un vulgaire calculateur de poche de nos jours). Après diverses péripéties nous avons fait notre diplôme au laboratoire de rayons cosmiques de Pierre Auger, bien décidés à retourner chez Lévy ensuite. Pendant une partie du temps où je préparais ma thèse, Loup est parti au MIT où il a travaillé avec Sid Drell. Lorsque je suis parti au CERN, en mars 1959, Loup était encore dans la physique des particules qu’il a quittée pour faire ces merveilleux travaux dont d’autres que moi ont parlé. Moi, au contraire, je suis resté toute ma vie dans ce domaine et je ne le regrette pas car j’ai assisté à des développements expérimentaux et théoriques fantastiques.
Mais nous sommes restés très amis, Marianne, Loup, Schu – ma regrettée épouse que j’ai rencontrée au CERN – et moi. Nous avons multiplié les occasions de revoir les Verlet. Pour moi, les dernières fois furent aux Houches, à l’occasion d’une commé- moration à la mémoire de Cécile, et chez Odette Jancovici, que je remercie pour son invitation.
Je suis très reconnaissant à Loup pour tout ce qu’il m’a apporté.
André MARTIN (1949 s)