RISSET Jean-Claude - 1957 s
RISSET (Jean-Claude), né le 13 mars 1938 au Puy-en-Velay (Haute-Loire), décédé le 21 novembre 2016 à Marseille (Bouches-du-Rhône). – Promotion de 1957 s.
Éminent chercheur scientifique, compositeur reconnu et pianiste, Jean-Claude Risset n’a pas seulement réussi à concilier la recherche en sciences physiques et la pratique de la musique durant sa vie professionnelle ; il a été actif dans plusieurs secteurs d’activité et a contribué à une profonde remise en cause de grands partages propres aux sociétés occidentales .
À partir de la fin des années 1960, Jean-Claude Risset a été le pionnier, puis le moteur d’une transformation internationale, en cours à la fois dans les secteurs des arts, des sciences et des technologies . Il a porté une manière originale de féconder réciproquement recherches scientifiques, créations artistiques et technologies infor- matiques, ceci dans le domaine du son et de la musique . Si des alliances entre les arts, les sciences et les techniques existaient alors sous différentes formes depuis plusieurs siècles, les travaux et compositions musicales de Jean-Claude Risset ont contribué à renouveler profondément les manières de mettre en relation : de nouvelles connais- sances scientifiques en acoustique ; des compositions musicales novatrices ; des logiciels pour la musique innovants . Dans chacun de ces trois domaines d’activités, il a été un novateur reconnu ; et ses activités dans chacun d’eux se sont nourries les unes les autres sans jamais inféoder l’une à l’autre, ou simplement appliquer les résultats de l’une dans l’autre, ou s’en inspirer superficiellement .
En 1999, l’attribution à Jean-Claude Risset d’une des plus importantes distinc- tions scientifiques françaises, la Médaille d’or du CNRS, a permis de reconnaître et faire connaître son rôle de fondateur et de modèle . Pourtant, sa trajectoire profession- nelle n’a été en rien linéaire et facile . En France, dans la seconde moitié du xxe siècle, il était difficile d’être pionnier et de trouver le statut et l’environnement professionnel adéquats pour des projets qui bousculaient les limites établies entre les principaux secteurs d’activité de la société française, et le grand partage entre arts et sciences .
Jean-Claude Risset, après ses années rue d’Ulm (1957-1961) et l’obtention de l’agrégation en sciences physiques, avait intégré le CNRS et commencé une thèse dans le domaine de la physique atomique . Mais dès 1962-1963, il souhaita donner plus de place à la musique dans sa vie professionnelle . Il avait jusque-là appris le piano et la composition musicale dans des cours privés, parallèlement à sa scolarité et ses études supérieures, et il n’était pas encore un professionnel de la musique .
En 1963, il donna son premier concert de piano et une de ses compositions fut pour la première fois créée et jouée en public . Sa volonté « d’entrer en musique », comme il le disait, était alors si grande qu’il était prêt à démissionner du CNRS et à changer totalement de trajectoire professionnelle .
La bienveillance de l’équipe de recherche à laquelle il était rattaché, le soutien fort d’André Jolivet, son professeur privé de composition, lui permirent de changer son sujet de thèse de doctorat . À partir de 1963, il réorienta ses recherches docto- rales autour de la question de la perception des sons . Puis, en 1964, après avoir pris connaissance des travaux pionniers en synthèse numérique des sons, menés aux États- Unis par Max Mathews au sein des laboratoires privés de la compagnie Bell Telephone, il recadra une nouvelle fois sa thèse autour de la question de l’analyse, de la synthèse et de la perception des sons grâce aux ordinateurs . En 1964-1965, il partit même une année aux Bell Labs, à la fois comme chercheur et compositeur, pour y mener une étude fondatrice .
À partir de cette période, les musiques qu’il composa, les résultats des recherches scientifiques qu’il obtint, et les logiciels qu’il contribua à concevoir aboutirent à sa reconnaissance internationale comme pionnier et promoteur de nouvelles manières de partager et relier les arts, les sciences et les technologies . Mais, professionnel- lement, avant de devenir directeur de recherche au CNRS, en 1985 (et directeur émérite à partir de 1999), au sein du LMA (Laboratoire de mécanique et d’acous- tique) de Marseille, il changea souvent d’organisme de rattachement et de statut, et connut de grandes difficultés pour trouver, en France, l’environnement profes- sionnel qu’il souhaitait . Il fut ainsi impliqué à partir de 1971 dans la mise en place d’un département expérimental et pluridisciplinaire à Marseille, qui disparut vite . À partir de 1975, il fit partie de la première équipe d’un centre de recherche/création musicale, l’IRCAM, composante du Centre Georges-Pompidou ouvert en 1977 ; il démissionna en 1979 . De 1979 à 1985, il fut officiellement professeur de musique à Aix-Marseille, mais enseignait en fait la physique .
Au cours de son premier séjour aux Bell Labs, pendant sa thèse, Jean-Claude Risset mena une recherche sur les sons dits cuivrés (ceux de la trompette ou du trombone), qui aboutit à renouveler profondément les connaissances en acoustique . Ces travaux, présentés dans sa thèse soutenue en mai 1967, ont en effet permis le franchissement d’un seuil important dans la science acoustique, un seuil de scientificité .
En posant le problème de ce qui est déterminant dans l’identité singulière d’un son, c’est-à-dire dans son « timbre », Jean-Claude Risset a remis en question les connaissances établies et a montré combien le timbre d’un son est déterminé à la fois objectivement et subjectivement, et qu’il est évolutif dans le temps . La singularité d’un son ne réside pas seulement dans sa réalité physique objectivable (une réalité jusque-là supposée stable), mais dépend aussi des modalités, physiologiques et cultu- relles, de l’audition humaine ; d’autre part, un son est en constante évolution dans le temps, globalement (à l’échelle de son « enveloppe ») et dans ses composants (les « partiels ») qui émergent et disparaissent au cours du temps . Jean-Claude Risset a notamment mis en évidence une relation entre « l’intensité » et la quantité de partiels aigus pour déterminer l’identité des sons cuivrés . Pour l’oreille humaine, cela consti- tue le critère principal de reconnaissance d’un son de trompette . La manière dont il débute, au cours de « l’attaque » de 10 à 30 millisecondes, constitue l’autre critère important .
Pour cette recherche fondatrice sur les sons cuivrés, puis pour l’ensemble des travaux qu’il a ensuite menés, Jean-Claude Risset a mis en œuvre la méthode de « l’analyse par synthèse » qui permet, par des va-et-vient (et validations) entre des analyses du spectre d’un son et des synthèses numériques de ce même son, de repé- rer les éléments qui sont les seuls pertinents pour l’oreille humaine . Cette méthode permet une meilleure prise en compte de la subjectivité de la perception .
Plus généralement, en mettant en évidence l’importance du facteur temps, du devenir temporel d’un son à différentes échelles, il a contribué aussi à changer complè- tement l’approche philosophique des phénomènes sonores . A posteriori, il est possible d’écrire qu’il a introduit une approche du sonore selon une ontologie du devenir, une ontologie d’événements, et non plus selon une ontologie d’êtres stables .
Dans ses compositions musicales, à partir de la fin des années 1960, puis par la suite, Jean-Claude Risset n’a pas directement appliqué les résultats de ses recherches scientifiques dans ses musiques . Il ne s’en est pas non plus simplement inspiré . La relation entre ses travaux de recherche et ses œuvres musicales est d’un autre ordre, plus fondamental .
Ses recherches lui ont donné une maîtrise, jusque-là impossible, irréalisable, de la production et de la composition temporelle de sons encore inouïs, voire paradoxaux, en une œuvre musicale originale . Autrement dit, ses connaissances en acoustique ont constitué les fondements et les appuis pour créer des sons, des processus sonores surtout, et des musiques complètement nouvelles dans le contexte de la musique contemporaine occidentale .
Dans le domaine de la création musicale, Jean-Claude Risset est en effet devenu à partir de la fin des années 1960 un pionnier et un modèle en tant qu’auteur de créations qui, par leur structuration globale et leurs détails, donnaient à entendre des transformations sonores en continu, à différentes échelles, ce qui était alors une novation . Il a créé de la musique avec les sons les plus variés, en jouant artistiquement de leurs caractéristiques objectives et perçues, de leurs évolutions dans le temps, et des manières dont leurs modes de perception peuvent changer .
Par exemple, dans la pièce Computer Suite from Little Boy (1968), il a composé plusieurs passages au cours desquels un même type de son est perçu soit comme une mélodie (une succession de notes), soit comme un accord (une superposition de notes), soit comme un timbre (un tout indécomposable à l’oreille) et où le son se transforme progressivement d’un état à l’autre .
Pour avoir une maîtrise de tels phénomènes de métamorphoses sonores, Jean- Claude Risset ne s’est pas appuyé seulement sur ses recherches scientifiques . Il a utilisé un logiciel de synthèse de son qui lui donnait la possibilité d’agir à différentes échelles des sons et de la musique, jusqu’à l’intérieur des sons, au niveau des « partiels » . Ce logiciel est connu sous le nom de Music et a été conçu à partir de 1956 par Max Mathews, au sein des Bell Labs .
Lors de son premier séjour aux Bell Labs, en 1964-1965, Jean-Claude Risset avait utilisé la version 4 de Music . Lors d’un deuxième séjour, à partir de 1967, il a contri- bué à la mise au point de Music 5 et, surtout, fait la démonstration que ce logiciel était utilisable non seulement pour synthétiser des processus sonores (en s’appuyant sur ses travaux en acoustique), mais aussi pour véritablement écrire, générer et donner à entendre des événements sonores et de la musique . Autrement dit, il a été innovant dans l’usage de ce logiciel, l’utilisant comme une technologie d’écriture et de produc- tion de musique, comme un système performatif de notation écrite pour composer, jouer et entendre de la musique .
Les apports de Jean-Claude Risset, dans ce secteur des technologies informatiques, propres à la seconde moitié du xxe siècle, ont été essentiels et ont contribué à un net élargissement des possibilités d’écriture musicale . Ce troisième secteur d’activité est celui dans lequel il a ouvert les plus vastes domaines de possibles, à partir de la fin des années 1960 .
Anne VEITL1, chercheur en sciences politiques et en histoire culturelle .
1 .Auteur de l’ouvrage bilingue : Falling notes. When Jean-Claude Risset transformed acoustics and music (1961-71)/La chute des notes. Quand Jean-Claude Risset métamorphosait l’acous- tique et la musique (1961-71) Disponible aux éditions Delatour (www.editions-delatour.com)