MESNARD Jean - 1941 l
MESNARD (Jean), né le 23 février 1921 à Champagnac (Charente-Maritime), décédé le 9 août 2016 à Bordeaux (Gironde). – Promotion de 1941 l.
Né le 23 février 1921 à Champagnac, Jean Mesnard pour- suit des études de lettres, en classes préparatoires à Bordeaux, puis au lycée Louis-le-Grand . Il intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1941 . Engagé volontaire en décembre 1944, il est élève officier à l’École militaire inter- armes de Cherchell jusqu’en novembre 1945 . Il acquiert dans la réserve le grade de lieutenant d’artillerie . Il est agrégé de lettres en 1946 . Le 10 septembre 1946, il épouse Suzanne
Duchemin (1941 L) . Ils ont eu cinq enfants .
Jean Mesnard enseigne en 1946 et en 1947 au lycée Henri-Wallon de Valenciennes, puis de 1947 à 1951 comme assistant de littérature française à la faculté des lettres de Paris . Après une année au lycée Montaigne de Bordeaux, il occupe un poste de professeur extraordinaire à l’université de la Sarre (1952-1956), puis de chargé d’en- seignement à la faculté des lettres de Bordeaux, où il devient professeur . Sa carrière parisienne commence à partir de 1969 à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, sur la chaire de littérature française du xviie siècle, puis à l’université de Paris- Sorbonne (Paris-IV), où il exerce de nombreuses responsabilités (direction de l’UFR lettres, participation au conseil de l’université, vice-présidence de l’université) . Il a été élu au Comité national du CNRS, au Comité consultatif des universités et au Conseil supérieur des universités .
L’enseignement de Jean Mesnard trouve à la Sorbonne un écho croissant . Son séminaire de maîtrise a marqué ses élèves par sa rigueur dans l’analyse des manus- crits et l’approfondissement des textes, l’étude précise et ouverte des problématiques aux différentes époques, et l’attention portée à l’évolution de la critique littéraire . Il mettait aussi ses étudiants au contact de chercheurs étrangers encore mal connus en France, dont les travaux se sont imposés dans la recherche dix-septièmiste, parti- culièrement dans le domaine pascalien, tels Yoichi Maeda et Pol Ernst . L’effectif de ce séminaire a augmenté rapidement au cours des années, avec la diversification des sujets tels que L’irrationnel au xviie siècle, Le symbolisme au xviie siècle, Bible et litté- rature . Jean Mesnard a donné aussi des cours aux ENS de Fontenay-aux-Roses, de Saint-Cloud, et de la rue d’Ulm .
Sa direction des doctorants était marquée par la rigueur et la bienveillance, comme je l’ai constaté lorsque, avec Tetsuya Shiokawa, nous avons été ses premiers étudiants à son séminaire de Sorbonne . « Rien n’est plus affligeant », disait-il, « qu’une brillante explication d’un fait inexact » . Mais il accordait aux thésards une grande liberté dans leur recherche . Son successeur Gérard Ferreyrolles (1971 l) a dit, lors de la journée qui s’est tenue en Sorbonne à l’occasion de ses 90 ans, que lorsqu’il remarquait une erreur, il le faisait avec une simplicité qui faisait passer la sévérité du jugement : « L’avantage, c’est que quand Jean Mesnard vous a fait un compliment, vous pouvez le croire . L’inconvénient, c’est qu’il peut arriver que ce moment n’arrive jamais » .
Les travaux de Jean Mesnard ont porté principalement sur la vie et l’œuvre de Blaise Pascal . Sa thèse, Pascal et les Roannez, est une source d’informations inépui- sable sur les divers milieux fréquentés par Blaise Pascal, qui dépasse de très loin toutes les tentatives biographiques antérieures . La figure de Pascal qui en ressort contraste nettement avec les conceptions de l’époque : au début du xxe siècle, les milieux catholiques prétendaient dissocier nettement Pascal de Port-Royal en soutenant que l’auteur des Pensées n’avait été janséniste que très superficiellement . Jean Mesnard a au contraire montré à quel point non seulement l’augustinisme de Saint-Cyran et Jansénius a profondément marqué Pascal, mais que celui-ci a été, non le « secrétaire de Port-Royal », mais un des maîtres du mouvement janséniste .
Cette publication est contemporaine du projet d’édition des œuvres complètes de Pascal dans la Bibliothèque européenne des éditions Desclée de Brouwer . Le but était de réunir selon l’ordre chronologique, outre les textes de Pascal lui-même, tous les documents originaux connus relatifs à sa personne, à sa famille, à son entourage et à son œuvre, dépassant ainsi l’édition des Grands Écrivains de la France établie par Brunschvicg, Boutroux et Gazier au début du xxe siècle . Le premier tome, paru en 1964, présentait une ample étude de la tradition pascalienne, de l’histoire des manuscrits et imprimés relatifs à Pascal, et un corpus des témoignages issus de tous les milieux que Pascal avait fréquentés : amis, famille, historiens, savants, mondains, ecclésiastiques .
Les trois tomes suivants, parus respectivement en 1970, en 1991 et en 1992, ont tous apporté un bouleversement dans les études pascaliennes . L’établissement rigoureux des documents et des événements a permis à Jean Mesnard de résoudre des problèmes qui traînaient dans la plupart des biographies de Pascal . L’étude des donations mutuelles passées entre Blaise et Jacqueline, par exemple, a dissipé une fois pour toutes la légende selon laquelle il aurait spolié sa sœur . Dans un domaine différent, la reconstitution des échanges épistolaires entre Paris et Clermont, combinée à l’examen du De cycloïde de l’anglais Wallis et de la Veterum geometria promota du jésuite Lalouvère, études dont les éditeurs précédents et ultérieurs ont soigneusement fait l’économie, a réglé la question de la partialité de Pascal dans le règlement du concours de la roulette .
L’originalité de l’édition consiste en ce que les règles n’y sont pas fixées par un code standard, mais définies selon la nature de chaque texte . S’agissant des Provinciales, Jean Mesnard a cherché à restituer les textes tels qu’ils sont sortis de la plume de Pascal, avant même d’être imprimés : il rejette donc la règle du choix de la dernière édition publiée du vivant de l’auteur, au profit de la première impression, s’appuyant sur les variantes des tirages pour remonter au texte original . Pour cette édition, deux apparats critiques étaient nécessaires !
Les Écrits sur la grâce, pièce majeure du tome III, en sortent littéralement transfigu- rés . Faute d’une exacte restitution de leur ordre logique et génétique, ils demeuraient quasi incompréhensibles au lecteur dans les éditions de Brunschvicg et de Lafuma . S’appuyant sur la technique de citation de Pascal, Jean Mesnard est parvenu à distin- guer nettement trois écrits, avec leur chronologie relative et, dans chacun d’eux, la succession des couches de rédaction . Le caractère augustinien et port-royaliste de la pensée théologique de Pascal en ressortait avec éclat . Les textes scientifiques comme les deux versions Traité du triangle arithmétique, et les Lettres de A. Dettonville, ont donné lieu à un renouvellement analogue . Quant aux Pensées, sa disparition en a interrompu l’édition, sur laquelle Jean Mesnard se montrait très discret . On ignore si les trois tomes qui devaient être consacrés aux Provinciales, aux Pensées et à la tradition pascalienne, pourront un jour être publiés .
À côté de ce magnum opus, Jean Mesnard a composé plusieurs études synthé- tiques : son Pascal, l’homme et l’œuvre (1951), son Pascal de la collection Les écrivains devant Dieu (1964) et son étude d’ensemble des Pensées (publiée en 1976 et 1993), ont été réédités et traduits .
Parallèlement, plusieurs ouvrages proposent d’amples synthèses sur le xviie siècle : Jean Mesnard a dirigé un Précis de littérature française du xviie siècle (1990), auquel Marc Fumaroli, Roger Zuber (1951 l), Noémi Hepp et Bernard Tocanne (1948 l) ont apporté leur contribution . Une partie de ses nombreux articles a été reprise dans le recueil La culture du xviie siècle. Enquêtes et synthèses, qui couvre l’ensemble de l’époque classique . Il a aussi publié une édition de La Princesse de Clèves, parue à l’Imprimerie nationale, précédée d’une admirable préface .
Jean Mesnard a aussi contribué à la naissance et au développement de plusieurs réseaux de chercheurs . L’impulsion qu’il a donnée à la Société des amis de Port-Royal s’est traduite par un considérable développement de cette association, et une succes- sion de colloques . En 1980, il fonde avec Thérèse Goyet, Philippe Sellier et moi-même le Centre international Blaise-Pascal, sis à la bibliothèque de Clermont-Ferrand, sous le patronage de la ville, de l’université de Clermont, et bientôt reconnu par le CNRS, qui constitue une banque mondiale de données et organise des manifestations pasca- liennes . Grâce à son amitié avec le professeur Yoichi Maeda, il a participé à la création au Japon d’un groupe de pascalisants comptant entre autres T . Hasekura, Tetsuya Shiokawa, M . Hirota et H . Morikawa . Ces dernières années, la prise de contact avec l’université de Catane lui a fait connaître le professeur Giuseppe Pezzino et son actuel successeur, Maria-Vita Romeo : l’université de Catane a créé en 2016 un Centre de recherches sur Pascal et le xviie siècle, qui lui a rendu un hommage, le dernier en date, au cours d’un colloque sur les opuscules pascaliens . D’autres les avaient précé- dés, notamment le colloque du 33e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth Century French Literature, tenu à Tempe en 2001 . Quelques années plus tard, en 2011 pour son 90e anniversaire, un disque de bronze dû à un maître graveur de l’Hôtel de la Monnaie de Paris, lui a été remis par ses amis dans les Grands Salons de la Sorbonne .
De grands honneurs ont reconnu cette belle carrière . Élu à l’Académie des sciences morales et politiques en 1997, Jean Mesnard avait reçu son épée d’académicien le 16 mars 1998, au grand amphithéâtre de la Sorbonne . Il a présidé cette Académie en 2010 . Il était officier de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre des Palmes académiques, commandeur des Arts et Lettres .
Jean Mesnard est décédé le 9 août 2016, à Bordeaux, dans sa famille . À la messe d’enterrement en l’église Notre-Dame-des-Anges, le 12 août, le P . Jean-Robert Armogathe (1967 l), qui le connaissait bien, a prononcé une homélie émouvante . Une cérémonie en l’honneur de J . Mesnard a aussi eu lieu à Paris, en l’église Saint- Louis-Saint-Paul, le 10 septembre 2016 .
Dans son Journal 1990-1992, L’avenir n’est à personne (1993), Julien Green écrit : « De tous les grands esprits français vivants, il n’en est pas un seul à qui je doive plus qu’à Jean Mesnard . Son nom n’est pas de ceux qu’on cite généralement, sauf dans les milieux d’érudits . J’oserais même dire qu’il est à peu près inconnu du grand public . Pour ma part, il m’a donné Pascal, à qui je dois presque tout, mais que je n’eusse pas connu de cette façon [ . . .] . Jean Mesnard a jeté de la lumière sur les raisonnements souvent ardus de l’homme qui domine la littérature française par la pureté de sa langue . Et ceci me frappe, c’est que le style de son commentateur s’est formé à l’école de son maître » .
Julien Green n’est pas le seul à avoir contracté une telle dette à son égard .
Dominique DESCOTES (1969 l)