MARTY Frédéric - 1928
MARTY (Frédéric), né le 23 juin 1911 à Albi (Tarn), mort pour la France le 14 juin 1940 à Helsinki (Finlande). – Promotion de 1928 s.
J’ai connu Frédéric Marty bien avant de le rencontrer en octobre 1930 à l’École normale supérieure . Toutes les Taupes de France retentissaient de sa réputation . Il avait eu au Concours général en 1926 le premier prix de mathématiques (en première), en 1927 le premier prix de mathématiques et le second prix de physique (en mathématiques élémentaires) . En 1928 il avait été reçu à l’École normale supérieure après une année seulement de mathématiques spéciales, à 17 ans et demi ! Il était trop jeune pour se présenter au concours de l’École polytechnique qui n’était ouvert qu’aux plus de dix-huit ans . Tout de suite je fus conquis par sa gentillesse qui disparaissait peut-être pour ceux qui le connaissaient mal sous son exubérance de méridional . Sa voix tonitruante, l’accent de Toulouse qu’il a toujours conservé, en faisaient un personnage pittoresque (tu es du faux midi, disait- il au bordelais que j’étais) . Il a toujours été un bon camarade pendant les mois que nous avons passés ensemble rue d’Ulm . Je ne partageais pas son goût pour la musique (il jouait très bien du piano) mais nous sommes souvent sortis ensemble : cinéma ou manifestations sportives (je me souviens l’avoir accompagné, nous étions tous deux en tenue prolétaire, au poulailler du Vel’ d’Hiv’ pour les Six jours ; le goulot d’un litre de gros rouge dépassait de la musette qu’il portait en bandoulière) . C’était un chic type . Il fut reçu premier à l’agrégation de mathématiques en 1931 à vingt ans ; trois mois plus tard il soutenait sa thèse de doctorat ès sciences mathématiques : « Sur la répartition des valeurs d’une fonction méromorphe . » Cette thèse est signée Frédéric Marty élève de l’École normale supérieure . Je conserve précieusement l’exemplaire qu’il a eu la gentillesse de me dédicacer . Avant lui on ne connaît, je crois, que deux cas de thèses soutenues par un élève de l’École normale supérieure, Émile Picard (1874 s) et Paul Appell (1873 s) qui tous deux ont laissé un très grand nom dans la science . Présidé par Émile Picard, son jury de thèse comprenait le professeur Montel (1894 s) qui a toujours conservé fidèlement la mémoire de Frédéric et le professeur Vessiot (1884 s) directeur de l’École normale supérieure . J’ai encore dans l’oreille la voix un peu sourde de Picard disant à Frédéric : « les espoirs que nous mettions en votre père mort pour la France, nous les mettons maintenant en vous » . . . Hélas !
Ensuite il y eut des voyages à l’étranger, Allemagne, Suède, Norvège, Finlande au cours desquels Frédéric apprit à peu près toutes les langues scandinaves . Il connaissait également l’allemand et l’anglais . Ce fut le moment où il mit au point un deuxième travail fondamental « Sur les hypergroupes » . En 1937, à vingt-six ans, il était nommé maître de conférences à la faculté des sciences de Marseille . Il y fut un professeur remarquable et une salle de la faculté porte son nom . Au-dessus de la chaire figure son médaillon . En 1939, il se mariait avec Madeleine Cosnard . J’étais son garçon d’hon- neur à l’église Notre-Dame-des-Champs . Et puis la mobilisation . Frédéric rejoint une unité de projecteurs sur la ligne Maginot . Il est volontaire pour la Finlande . L’évolution militaire entraîne sa nomination comme attaché militaire à Helsinki . Chargé du chiffre, il monte dans un avion abattu par les Soviétiques au-dessus du golfe de Finlande . Il est fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume .
En terminant avec émotion cette brève évocation, je pense à sa femme qui fut quarante ans fidèle à sa mémoire puisqu’elle ne s’est pas remariée et à sa mère veuve de la guerre de 1914, mère d’une victime de celle de 1939 .
Daniel DUGUÉ (1930 s)
Le manuscrit de cette notice, écrite par Daniel Dugué (1930 s) vers 1980 et jamais publiée, a été retrouvé par la famille alors que je m’apprêtais à rédiger moi-même une notice. Je me contente d’y ajouter quelques phrases.
Frédéric Marty est né le 23 juin 1911 à Albi et décédé le 14 juin 1940 à Helsinki. Ses deux parents, Joseph Marty (1905 s) et Joséphine Marty (1905 S) (jolie coïncidence de noms) étaient normaliens et mathématiciens. Un de ses oncles, Paul Marty (1907 l), était un normalien littéraire. Son épouse, Madeleine Cosnard, était la fille d’Alice Lapotaire (1905 S), elle aussi normalienne (physicienne). Son père ayant été tué alors que Frédéric avait trois ans, c’est sans doute à sa mère, professeur de mathématiques, qu’il doit son goût pour cette science.
Sa courte carrière de mathématicien a été très active . Il a rédigé des cours auxquels il avait assisté - qui sont devenus des livres - d’Élie Cartan (1888 s) et de Paul Montel (1894 s) . Il a participé en donnant des exposés aux deux seuls séminaires de mathé- matiques des années 1930, ceux de Jacques Hadamard (1884 s) et de Gaston Julia (1911 s) . Il a donné un cours Peccot (au Collège de France) en 1938-39 . Deux de ses articles, écrits en collaboration avec Marc Krasner, sont parus sous le pseudonyme de Mademoiselle Britt Ranulac, ce qui prouve qu’il aimait les . . . canulars . Nommé à Marseille, il donna aussi des cours à l’École de l’Air de Salon-de-Provence .
Michèle AUDIN (1974 S)