GAULTIER DE CLAUBRY Marie, Charles, Xavier - 1853 l
GAULTIER DE CLAUBRY (Marie, Charles, Xavier), né à Paris le 22 août 1833, décédé à Lannoy (Algérie, actuellement Djendel) le 2 décembre 1912. – Promotion de 1853 l.
Il n’est pas facile de retracer la carrière de Xavier Gaultier de Claubry et d’évoquer sa personnalité, et cela ne tient pas seulement à l’écart d’un siècle qui nous sépare de son décès . Il a en effet presque toujours été confondu avec son aîné de cinq ans, le chanoine Henri Gaultier de Claubry, né en 1828 et mort en 1910 curé de Saint-Eustache à Paris, après avoir été longtemps vicaire à Saint-Étienne-du-Mont, puis curé de Saint-Jean-Saint-François . Rien n’aurait dû permettre de les confondre : l’aîné n’a jamais quitté Paris, le cadet a mené une carrière itinérante ; l’aîné était prêtre, le cadet était devenu athée : « J’ai été autrefois fièrement catho- lique, hautement indépendant à l’égard de toute autre église . Une fois sorti de celle-là, je ne suis plus d’aucune, pas même de l’église maçonnique dans laquelle je n’ai fait que passer et qui ne me reprendra pas » écrit-il en 1903 à Georges Radet (1881 l) .
Cette confusion, dont on s’explique mal l’origine, trouve son aboutissement dans la notice que lui consacre le Dictionnaire de biographie française, entièrement à refaire . Si j’ai pu démêler cet écheveau, je le dois à l’aide précieuse de son arrière-petit-fils, Gildas Dacre-Wright, que je ne saurais trop remercier .
Fils d’un professeur à l’École de pharmacie de Paris dont le portrait figure toujours dans la salle du conseil de l’actuelle faculté de pharmacie, Xavier Gaultier de Claubry est le benjamin d’une fratrie de quatre (il avait deux frères et une sœur qui devait devenir carmélite) . Il perd sa mère dès sa naissance . Il est élevé par sa grand-mère maternelle, Constance Charpentier (1767-1849 ; signalons au passage qu’elle était belle-sœur du révolutionnaire bien connu Georges Danton) . Elle s’était fait connaître comme peintre, et l’on a conservé un portrait qu’elle a fait de son petit-fils Xavier à l’âge de neuf ans . Il l’est aussi par sa sœur, envers qui il montre beaucoup de recon- naissance . Sa jeunesse semble avoir été solitaire . « Pour réussir, il ne suffit pas de bien faire, il faut savoir vivre parmi les hommes . Je n’apprenais pas cela dans ma jeunesse, ne sortant des quatre murs d’un internat que pour revoir la maison de mon père, maison sans maîtresse de maison, pauvre d’ailleurs, et presque sevrée de relations mondaines », écrit-il à Georges Radet . Il fait de bonnes études secondaires : il fut lauréat du concours général en 1846 quand il était élève de sixième (deuxième prix de thème latin et premier accessit d’histoire) . Admis en 1853 à l’École normale supé- rieure, il est reçu le 9 octobre 1857 au concours de l’École française d’Athènes où l’on pouvait alors entrer en étant simplement titulaire d’une licence .
Il y arrive dans un contexte difficile : en 1858 allait éclater un grave conflit entre les membres et leur directeur Amédée Daveluy (1818 l) ; il portait, entre autres, sur la nature des activités et des missions de cette École . Des personnalités marquantes comme Léon Heuzey (1851 l), futur conservateur au Musée du Louvre et Georges Perrot (1852 l), futur professeur d’archéologie à la Sorbonne, qui séjournaient à Athènes en même temps que lui, y voyaient un institut de recherches, à l’inverse de leur directeur, qui demande leur rappel . Malgré une lettre de démission commune signée en mars 1858 par Heuzey, Perrot, Gaultier de Claubry, et deux autres, ce dernier est maintenu à Athènes . Tout ou presque était alors à faire pour connaître l’Antiquité grecque sur le terrain . Il se tourna vers l’Épire, où il voyagea du 24 septembre 1858 au 7 janvier 1859 . La préparation de ce voyage lui avait pris deux mois, la mise en forme des résultats lui en prit quatre : c’est donc là l’essentiel de son activité athé- nienne . Il avait obtenu des résultats importants : identification de l’emplacement du sanctuaire de Dodone, mais « sans aucun moyen de le prouver » selon G . Radet, et copie extrêmement soigneuse (au jugement récent des meilleurs épigraphistes alle- mands) d’une importante inscription de Byllis dernièrement rééditée d’après sa copie dont l’apport est significatif . Il pratiquait la photographie, ce qui était rare à l’époque, mais ne semble pas en avoir utilisé les ressources pour ses travaux archéologiques .
Pour diverses raisons – le caractère encore provisoire des résultats acquis, les fortes réserves émises par le rapporteur de l’Institut, Joseph Daniel Guigniaut (1811 l), l’absence d’une revue propre à l’École d’Athènes où il aurait pu être publié –, ce travail, conservé en partie aux archives de l’École française d’Athènes, est resté pour l’essentiel inédit, à l’exception de deux brefs articles et des passages relatifs à l’Épire du Guide Joanne de 1873 . Il en subsiste un texte de 125 pages dépourvu d’illustration, et une « Note sur l’itinéraire de Flamininus en Épire » illustrée de dessins à la plume qui ne sont pas médiocres . Le directeur s’émeut que « pour étudier, à fond il est vrai, quelques détails de topographie et de géographie ancienne », il ait consacré à ce sujet neuf mois de son temps . Il y voit un « abus à réformer » . C’est pourtant une contribu- tion marquante à la connaissance de l’Épire antique . On ne s’étonnera donc pas qu’en 1859, Xavier Gaultier de Claubry n’ait pas été renouvelé pour une troisième année . Le résultat qu’il jugeait, à raison, le plus important, – l’identification de l’emplace- ment de Dodone – n’avait pas été accepté par le rapporteur de l’Académie, et lorsque Constantin Carapanos arriva au même résultat, il ne reconnut pas explicitement sa priorité . Ce fut pour lui une blessure qui ne put jamais se refermer, malgré les efforts de ses camarades Georges Perrot, puis Georges Radet .
À son retour en France, il entre dans l’enseignement, non sans une certaine amer- tume . « J’avais pris la queue après mes contemporains . On me donnait les postes que les autres ne voulaient pas, et l’on m’envoyait partout où il y avait des coups à rece- voir » . Il connaît une carrière itinérante . Nommé professeur suppléant de rhétorique au lycée Napoléon-III de Bastia, le lycée de France le plus éloigné de Paris, il y prépare l’agrégation des lettres qu’il obtient en 1861 . L’année suivante, il est au lycée Fontanes de Niort . C’est probablement à ce moment qu’il a connaissance de la correspondance du général Chabot, commandant des îles Ioniennes lors de l’occupation française entre 1797 et 1799 et natif de Niort, et qu’il rédige un mémoire à ce sujet ; l’article qui en résulte, publié en 1864, est surtout une évocation du voyage de l’auteur en Épire et un appel à favoriser l’entente entre les diverses composantes de l’Empire ottoman plutôt qu’à chercher à le renverser . En 1863, il est à La Rochelle, mais il demande un congé pour l’année 1866-1867, qu’il passe en Algérie, en vue de participer à la remise sur pied des affaires de sa famille très gravement atteintes par les incendies de forêt de 1865 . C’est l’origine d’embarras financiers qui le tracasseront pour le restant de son existence . Il épouse le 5 février 1867 Marie Madeleine Alexandrine de Froment : trois enfants naîtront de cette union . Son poste de La Rochelle avait été pourvu en son absence : il est nommé professeur de seconde au lycée de Besançon . Il se mêle à la vie politique et journalistique locale . Après les événements du 4 septembre 1870, il se déclare rédacteur en chef du journal Le Doubs, « rédigé dans un détestable esprit », selon les milieux cléricaux sous la pression desquels il est muté le 3 mai 1871 comme professeur de rhétorique au lycée de Mont-de-Marsan . Il le prend pour une disgrâce : de fait, son maintien à Besançon, où il souhaitait rester, avait été jugé impossible . Il obtient le 24 avril 1873 sa mise en congé avec traitement pour raison de santé, réelle ou supposée, et s’installe à Paris . Il y cherche un poste avec activité, sans y réussir . Son congé durera plus de six ans, malgré deux interruptions, en 1874 pour d’éventuels cours et conférences au lycée Louis-le-Grand (il n’y convaincra guère), et du 18 février au 7 août 1878, pour une suppléance au collège Rollin qui n’aura pas de meilleurs résultats . Il s’était mis à l’étude du japonais : en 1873, il participe au premier congrès des orientalistes avec deux communications dont l’une, sur « les principaux monu- ments de la littérature japonaise », brosse un panorama de la production en japonais alors à peu près inconnue en Europe, ce qu’il regrette . Il est alors donné comme élève de l’École spéciale des langues orientales pour le japonais . Le 14 août 1879, il devient directeur de l’enseignement en Cochinchine ; pour avoir davantage d’autorité, il obtient d’être nommé inspecteur d’académie hors cadre . Dès juillet 1882, il est de retour à Paris . Il tente sans succès d’obtenir un poste de vice-recteur à la Martinique ou à la Guadeloupe, finit par demander un congé illimité pour des raisons person- nelles, et s’installe en Algérie . Son projet était d’exploiter le domaine de Bou-Ksaïba, concédé à son père en 1856, dont il avait reçu une partie après la mort de ce dernier en 1878 . L’échec de cette entreprise l’amène à s’installer à Philippeville (actuellement Skikda) où il vécut en donnant des leçons et en participant à la rédaction du journal local, Le Colon, publié avec une périodicité variable entre 1884 et 1899 . Il fit valoir ses droits à une pension de retraite à compter du 1er septembre 1888, comme « hors d’état de continuer ses fonctions » . Il passa ses dernières années dans un grand isole- ment auprès de sa fille Isabelle, à Lannoy (actuellement Djendel), à proximité du domaine familial .
Pour son arrière-petit-fils, Xavier Gaultier de Claubry avait un caractère tour- menté et compliqué ; c’était un homme intelligent qui a régulièrement gâché ses chances en se heurtant à son entourage . Les notes de ses supérieurs sont générale- ment critiques : tête légère, manque de jugement, caractère bizarre et aventureux, homme inquiet et aigri . Il paraît avoir enseigné sans en avoir le goût . On trouve qu’il travaille peu et semble profondément découragé (1872) ; qu’il ne paie pas de mine et paraît vieux avant le temps (1878) . On lui reproche d’être verbeux et brouillon, de manquer de méthode . Dans ses lettres à Georges Radet, lui-même se regardait sans grande indulgence : « je n’étais pas archéologue par tempérament, épigraphiste médiocre, numismate nul . J’étais un moraliste et homme d’action » écrit-il en 1897, et en 1903 : « Je suis devenu à la longue un peu iconoclaste, après avoir été, au début, tout le contraire » . Il se jugeait passionné . Il était maladroit, ce que montrent ses démêlés avec son directeur à Athènes ou ses incessants changements de poste dans l’enseignement secondaire . On peut le voir aussi dans un factum destiné à la repré- sentation nationale à son retour de Cochinchine : Un casse-cou, ou le budget de la Cochinchine en 1882, Paris, 1882, 67 p . Ce texte extrêmement sévère laisse penser que son retour en métropole n’était pas dû seulement aux problèmes que posait l’ex- ploitation de son domaine d’Algérie . C’est peut-être aussi ce qui explique le caractère un peu précipité de certaines de ses conclusions scientifiques . Les conditions difficiles de ses débuts dans la vie, qu’il n’a jamais su totalement surmonter, expliquent un certain manque de confiance en lui . Il aurait pu laisser une œuvre marquante : il avait les qualités de curiosité, d’érudition, d’énergie, de soin pour faire en Épire œuvre de pionnier, comme Léon Heuzey en Macédoine ou Georges Perrot en Asie Mineure . Il a certes manqué du soutien moral et financier qui aurait été nécessaire quand il était à Athènes, mais Heuzey et Perrot ne l’ont pas eu non plus à ce moment-là . Son étude du japonais n’a pas davantage eu de résultat durable . À la différence de ses camarades athéniens, ce qui lui a fait le plus défaut, c’est l’esprit de suite .
Michel SÈVE (1969 l)