FAVRE Alain - 1962 s

FAVRE (Alain), né le 20 juin 1941 à Pralognan-la-Vanoise (Savoie), décédé le 29 janvier 2019 à Pralognan-la-Vanoise (Savoie). – Promotion de 1962 s.


Issu d’une famille montagnarde, Alain est né à Pralognan- la-Vanoise. La vie pendant et après la guerre en montagne est rigoureuse, et Pralognan est assez isolé. L’environnement de son enfance le marqua très profondément et forgea son caractère, franc et déterminé . Des liens intimes perdureront toute sa vie avec ses frères et sa sœur .

À l’âge de 10 ans, il fut envoyé à l’internat du collège de Moutiers où ses résultats se révélèrent excellents . Sa ténacité hors normes le mena ensuite au lycée Vaugelas de Chambéry . Là, il fit une rencontre déterminante en la personne de son professeur de biologie, monsieur Darchis, avec lequel il maintint une relation d’amitié pendant toute sa vie . Celui-ci l’encouragea à viser haut et il s’inscrivit en classe préparatoire au lycée du Parc à Lyon, en compa- gnie de deux autres savoyards . René Rosaz, son compagnon de chambre, témoigne de l’ardeur à l’étude d’Alain, ce qui, dit-il, l’entraîna à réussir le concours de l’Agro . Quant à Alain, c’est comme cacique du concours du groupe C (biologie) qu’il entra à l’ENS en 1962.

Pour lui, une vie nouvelle démarrait, avec des amitiés nombreuses, s’affirmant autour de longues conversations où son ouverture d’esprit lui permettait de rebondir d’un sujet vers un autre . Ses amitiés se matérialisèrent dans des voyages passionnants qu’il effectua en Égypte, en Inde et au Népal, puis au Pérou . La biologie et la géologie que l’on enseignait en classe préparatoire dans les années 1960 étaient alors très descriptives . L’anatomie et la physiologie comparées remplissaient les cours de biologie . Pourtant quelques lectures que nous avons partagées montraient qu’une autre science naissait, la biologie moléculaire, plus explicative . Jim Watson et Francis Crick ont décrit la structure de l’ADN, la molécule clé de l’hérédité, en 1953 et, en 1962, date de notre entrée à l’ENS, ils recevaient le prix Nobel . Avec Alain, notre déception a été grande de constater que l’importance de ces travaux n’avait pas été perçue à l’ENS . Un caïman nous dirigea vers un archicube impliqué dans ces recherches et c’est ainsi que nous fîmes la connaissance de Jean-Pierre Changeux (1955 s), qui nous conduisit à Jacques Monod, dont il était l’élève à l’institut Pasteur . Ce fut une rencontre remarquable, dont tous les deux nous avons gardé le souvenir . Jacques Monod nous fit un panorama de la recherche parisienne en biologie molé- culaire, duquel l’ENS était absente, et il nous dressa une liste des enseignements qu’il jugeait nécessaire à une entrée dans le domaine, en mettant l’accent sur la chimie et en évitant les aspects traditionnels de la zoologie . Notre choix de labo- ratoire s’est porté sur l’Institut de biologie physico-chimique qui, en liaison avec l’institut Pasteur, jouait la carte de la biologie moléculaire . Ces deux institutions, qui n’étaient pas directement connectées à l’université, avaient une plus grande liberté de programme et de recrutement, et avaient ainsi suivi plus rapidement les avancées de la recherche .

Nous avons rejoint le service de Marianne Grunberg-Manago, qui deviendra la première femme présidente de l’Académie des sciences, et avons intégré l’équipe de A . Michaël Michelson, un chimiste britannique spécialiste des nucléotides, les briques de l’ADN . C’est à l’université de Paris que nous avons acquis notre formation auprès d’un corps professoral assez hétérogène où une nouvelle génération s’efforçait d’introduire une vision moderne de la biologie et au sein de laquelle nous avons retrouvé Jacques Monod (futur prix Nobel) qui y enseignait les bases de l’enzymo- logie et de la virologie .

À cette époque, où le développement de la recherche était très soutenu, le passage se faisait directement de l’ENS au CNRS . Alain a alors entamé une carrière de cher- cheur en préparant une thèse de doctorat, sous la direction de Michelson, devenu chef de service . Ce dernier l’orienta vers la photochimie d’un nucléotide rare présent dans certains ARN, la 4-thiouridine . Les quatre nucléotides majoritaires présents dans l’ARN absorbent la lumière dans une même région de l’ultraviolet, mais ce composant, la 4-thiouridine, absorbe une lumière un peu moins énergétique, ce qui permet de l’étudier sans toucher l’ensemble de la molécule . De plus, lorsqu’il absorbe la lumière, il devient réactif et peut se combiner avec des structures voisines, protéines ou acides nucléiques . En collaboration avec Moshe Yaniv (maintenant membre de l’Académie des sciences), il a appliqué cette stratégie à un ARN de transfert et observé un pontage intramoléculaire de la 4-thiouridine avec un résidu cytidine, ce qui a permis d’établir un modèle de la structure dans l’espace de cet ARN . Ces résultats, publiés dans la prestigieuse revue Nature, ont constitué la base de la thèse de doctorat d’Alain Favre . Moshe Yaniv et Alain ont eu l’occasion de présenter et de discuter leur modèle avec Francis Crick, à l’occasion d’un congrès à Cambridge .

C’est dans cette période que survinrent les événements de mai 68, pendant lesquels, avec Alain, nous avons refait le monde, avec bien peu d’imagination, je dois l’avouer . C’est aussi dans cette période qu’Alain rencontra aux fêtes de Bayonne celle qui deviendra sa femme, Nicole . Ils se marièrent en 1972 et le couple s’installa dans le 15e arrondissement, dans un appartement qui verra la naissance de leurs trois enfants, Charles, Vincent et Elisa .

En 1969, Alain Favre quitta l’Institut de biologie physico-chimique en suivant Moshe Yaniv, membre du laboratoire de François Gros qui s’installait alors sur le campus de Jussieu, dans un vaste ensemble formant l’Institut de biologie molécu- laire . François Gros abandonna rapidement Jussieu pour prendre la direction de l’Institut Pasteur, mais Alain Favre resta dans ce qui devint en 1982, l’Institut Jacques-Monod .

Son premier élève a été Gilles Thomas, un brillant polytechnicien avec lequel il signa une dizaine de publications, avant que l’Institut Curie ne séduisît Gilles, qui y fit une brillante mais courte carrière . La compétence d’Alain fut rapidement reconnue et on lui confia la direction d’une équipe, Photobiologie moléculaire, qu’il dirigera pratiquement jusqu’à sa retraite .

En 1978, la carrière d’Alain Favre prend un tournant . À 36 ans, il est nommé professeur de biochimie à l’université Paris VI, qui deviendra l’université Pierre-et- Marie Curie, puis, récemment, Sorbonne Université . C’est un établissement en plein développement dans lequel le personnel enseignant est renouvelé pour s’adapter aux progrès rapides des connaissances mais aussi à la croissance du nombre des étudiants, plus de 30 000 . Ces changements se placent dans un contexte de réforme de l’En- seignement supérieur, initié par Alice Saunier-Séïté . Alain Favre crée et dirige le département du diplôme d’études universitaires générales (Deug) de biochimie et chimie, impliquant environ 1000 étudiants . Il considère que l’enseignement dans les premières années de la faculté devrait être fait par les meilleurs professeurs, ceux-ci ne devant pas se réserver uniquement les cours de master les plus avancés . Il inter- vient aussi dans les enseignements de la licence et de la maîtrise de biochimie où il enseigne la structure des acides nucléiques et les méthodes physiques d’études des macromolécules biologiques .

D’après les témoignages que j’ai recueillis, Alain était apprécié des étudiants pour son caractère franc et direct, et la rigueur de ses cours où il dégainait facilement l’outil mathématique.  L’investissement dans l’enseignement n’a pas favorisé l’épanouissement des qualités de recherche d’Alain . Néanmoins, lorsque Jacques Ricard a pris la direction de l’institut Jacques Monod, il lui a fait une place dans l’organisation du labora- toire en lui confiant la direction de l’un des cinq départements, le Département Organisation et expression du génome . Favre suit toujours sa ligne de recherche, utilisant en particulier la photochimie de la 4-thiouridine, mais il l’applique à diffé- rents systèmes biologiques . Il va ainsi faire certaines observations sur des bactéries soumises à une irradiation de la 4-thiouridine . Mais surtout, son équipe va incor- porer cette base dans différents ARN et obtenir de précieuses informations sur le fonctionnement du processus de traduction par lequel l’ARN messager guide la synthèse de la chaine peptidique . Le photo-marquage lui permet aussi d’étudier des ARN bien particuliers, les ribozymes, doués de propriétés catalytiques . Ces travaux l’amènent à collaborer avec plusieurs équipes russes, avec lesquelles il produit plus de 20 publications . L’ensemble des travaux d’Alain Favre couvre une centaine de publications .

Il a pris sa retraite en 2007, avec une certaine amertume car il n’appréciait pas les réformes en cours dans l’enseignement supérieur . Il s’est alors éloigné de l’Université . Il a partagé son temps entre des calculs mathématiques effectués quotidiennement et ses petits-enfants . Il s’est efforcé de leur transmettre son amour de la montagne et il a aménagé une maison familiale à Pralognan où il s’est éteint .

Alain Favre a bénéficié de l’ascenseur social mais il a largement rendu ce qu’il avait reçu . Son engagement dans l’enseignement a été profond et n’a certainement pas été facile . Le travail bien fait a constitué le fil de sa vie . Il lui a fallu la ténacité montagnarde pour atteindre les buts qu’il s’était fixés .

Jean-Pierre HENRY (1962 s)