ESCLANGON Benjamin Ernest - 1895 s

ESCLANGON (Benjamin Ernest), né à Mison (Alpes-de-Haute-Provence) le 18 mars 1876, décédé à Eyrenville (Dordogne) le 28 janvier 1954. – Promotion de 1895 s.


Ernest Esclangon descend d’une famille de paysans d’En- trepierres, hameau de la montagne de la Baume qui domine Sisteron . Les descendants de Louis Esclangon, né en 1620, quittent des terres arides pour la riche vallée de la Durance en 1820 . À la naissance de Benjamin Ernest (1876), ses parents François-Honoré (1837-1920) et Marie-Caroline Maigre (1845-1915) exploitent en propriétaires une belle « campagne » : les Génellis . François-Honoré ne sait pas lire, mais il cube les arbres et traduit en stères le volume de bois exploitable pour son frère menuisier . Ernest est écolier à Mison, pensionnaire au collège de Manosque, il en sort bachelier en 1891 à 15 ans . Il suit la classe de Mathématiques spéciales au lycée de Nice .

Reçu à l’École normale supérieure en 1895, il est licencié ès sciences mathéma- tiques, licencié ès sciences physiques en 1897 et agrégé de mathématiques en 1898 .

Il est proposé par Jules Tannery (1848-1910, 1866 s) comme candidat à un poste d’aide-astronome, à Georges Rayet (1839-1906, 1859 s) directeur de l’observatoire de Bordeaux .

Réformé du service militaire, Esclangon rejoint Floirac en mars 1899 . Il est affecté au service méridien, où il assure de nombreuses observations d’étoiles, puis à partir de 1905 à l’équatorial de 14 pouces pour observer comètes et petites planètes .

Tout en observant quand les nuits sont claires, Esclangon entreprend une thèse de mathématiques sur les fonctions quasi périodiques inspirée des travaux de Poincaré, soutenue en 1904 devant Paul Appell (1855-1930, 1873 s), Henri Poincaré (1854- 1912, X 1873) et Paul Painlevé (1863-1933, 1883 s) . Dans l’édition de ses Titres et Travaux scientifiques en 1907, il écrit : « Dans ce travail que j’aurais pu appeler aussi : Sur certaines fonctions que l’on rencontre en mécanique céleste, j’ai étudié toute une classe de fonctions qui tiennent une place importante dans la théorie des pertur- bations. J’ai préféré les désigner sous le nom de quasi périodiques, car, en dehors de l’Astronomie, elles se présentent dans d’autres questions de Physique mathématique, telles que les marées, la composition des sons, les phénomènes météorologiques. Dans les équations de Poincaré (1893), les coefficients sont des fonctions quasi périodiques parti- culières . » En 1925, Esclangon, en collaboration avec Harald Bohr (1857-1951), différencie les fonctions quasi périodiques des fonctions presque périodiques que celui-ci a définies .

En 1905, il est chargé de l’observation de l’éclipse de soleil à partir d’un ballon de l’Aéro-Club du Sud-Ouest . À Bordeaux puis à Strasbourg, Esclangon s’attache à améliorer la précision des lunettes . Ses observations portent sur une méthode d’obtention des repères microscopiques dans les observations micrométriques et son application à l’étude des tourillons dans les lunettes méridiennes, et sur l’entraîne- ment des équatoriaux : « La précision dans l’observation des étoiles, leur variation dans le temps et la détermination des longitudes doit se situer au-dessous de 2" d’arc » . Il exprime le principe général de la régulation : un bon régulateur doit être en équilibre indiffé- rent sous le régime normal, et instable par rapport aux écarts infiniment petits à ce régime .

Missionné pour mesurer les variations de la pesanteur, il codifie le lancement du pendule, les heures et durées d’observation dans sept sites de 1909 à 1912 . Il précise que, dans la valeur de l’accélération de la pesanteur déterminée à Floirac g = 9,80629, « la cinquième décimale doit être regardée comme particulièrement exacte » .

En 1914, la guerre élargit les activités d’Esclangon au repérage par le son : sa note adressée au Service géographique de l’Armée en septembre 1914 le conduit au Polygone d’Artillerie de Gâvres où « il découvrit en 1915, la différence fondamentale de structure physique et leur différenciation instrumentale, des ondes de bouches des canons et des détonations dues au mouvement, dans l’air, des projectiles à vitesse supersonique, ce qui permit une mise au point efficace, à la fin de 1915, des procédés de repérage par le son. C’est par de telles méthodes que furent repérées et détruites les berthas qui tiraient sur Paris ». En 1918, attaché au cabinet du ministre de la Marine, il dépose un mémoire de 174 pages sur la détection sonore des sous-marins .

En 1919, Esclangon est nommé directeur de l’observatoire de Strasbourg et s’adjoint André Danjon (1890-1967, 1910 s) sous-directeur, Gilbert Rougier (1886- 1947) et André Couder (1897-1979) . Il conduit la réorganisation matérielle et scientifique de l’observatoire . Il conçoit une double horloge qui donne aux observa- teurs simultanément le temps sidéral (dû à la rotation galactique) et le temps moyen . Confronté à la théorie de la Relativité, il s’attache aux preuves astronomiques : dévia- tion de la lumière par le soleil, mouvement du périhélie des planètes, dissymétrie optique de l’espace .

En 1929, il est nommé directeur des observatoires de Paris et Meudon fusionnés depuis 1927 . Il succède à Benjamin Baillaud (1848-1934, 1866 s), directeur à Paris, et à Henri Deslandres (1853-1948), directeur à Meudon . L’observatoire de Meudon est outillé pour l’étude du soleil avec le coronographe de Lyot et le spectrohéliographe dû à Deslandres . L’observatoire de Paris assure deux tâches : la Carte du Ciel et le service de l’Heure . La Carte du Ciel, programme international lancé en 1891, est l’inventaire photographique du ciel, il mobilise les astronomes et les calculatrices dans le but résumé par Esclangon : « fixer l’état de ciel à une époque pour ainsi dire donnée, et par des comparaisons ultérieures avec des états futurs, en déduire les mouvements propres d’étoiles. » Le Bureau international de l’Heure centralise la détermination de l’heure à l’échelle mondiale grâce aux observations effectuées par les astronomes .

Esclangon invente l’horloge parlante, destinée à donner l’heure exacte au public par téléphone . Ayant utilisé à Strasbourg une horloge à signaux acoustiques, il remplace le signal par l’enregistrement d’une voix parlée, sur trois bandes-son, heures, minutes, secondes, qui sont lues par trois cellules photo-électriques, le signal est converti en son dans l’écouteur de l’abonné . Ernest reconnaît que les difficultés mécaniques et électriques ont été surmontées grâce à la ténacité des ingénieurs de la maison Brillié .

L’horloge parlante, mise en service le 14 février 1933, fait découvrir au public un savant que ses pairs ont déjà reconnu : maître de conférences en 1905, professeur adjoint en 1908 à la faculté des sciences de Bordeaux, professeur d’astronomie géné- rale à Strasbourg en 1919 puis à la Sorbonne, membre de l’Académie des sciences en 1929, il organise à Paris en 1935 le congrès de l’Union astronomique internationale qu’il préside jusqu’au Congrès de Stockholm en 1938 .

Malgré une reconnaissance nationale et internationale, Esclangon ne réussira pas à développer l’astrophysique à l’observatoire de Paris . Depuis 1923, les astronomes rêvent de la station d’astrophysique qu’ils pourraient créer grâce à la donation de M . et Mme Dina, qui souhaitent offrir à la France un grand télescope privé . André Danjon présente le projet d’un laboratoire d’astronomie physique avec un budget de 50,5 millions . Esclangon obtient de créer la station en Haute-Provence . André Couder a taillé un miroir de 81 cm, le télescope monté par la société Prin est installé à Forcalquier en 1931 . Mais Mme Dina, devenue veuve, renonce au projet, elle donne 1 million de francs à l’Académie des sciences, dont seuls les intérêts sont destinés à la future station . Le crédit de 5 millions de francs sollicité pour la remise en état du télescope de 120 cm de Le Verrier est refusé . La demande de dotation à l’État tarde, car la Commission du nouvel observatoire ne suit pas les propositions d’Esclangon : un observatoire à Mison, une gestion par l’observatoire de Paris .

En 1936, les astrophysiciens de l’observatoire de Paris obtiennent avec le soutien de Jean Perrin (1891 s), prix Nobel et sous-secrétaire d’État à la recherche scientifique, l’arrêté de création d’un Service de recherche d’astrophysique avec un observatoire en Haute-Provence (OHP) et un laboratoire d’astrophysique à Paris, rattachés à la Caisse nationale de la Recherche scientifique . En 1937, 85 ha de champs et de bois sont acquis sur la commune de Saint-Michel par la Caisse nationale de la Recherche scientifique pour moins de 150 000 F . Les deux télescopes de 81 cm et de 120 cm sont affectés à la recherche scientifique pour être transportés à l’OHP . L’Institut d’astrophysique de Paris et l’observatoire de Saint-Michel seront construits pendant la guerre .

De 1939 à 1944, Esclangon s’attache à maintenir les observatoires et leur person- nel au travail, tout en assumant ses tâches de professeur, de vice-président puis président de l’Académie des sciences en 1941 et 1942 . Les relations avec l’État fran- çais, la propagande et l’occupant restent administratives . Prolongé d’un an en 1943, Ernest Esclangon quitte l’Observatoire de Paris en septembre 1944 et sa chaire en décembre 1946 . Ses travaux scientifiques ont été honorés, en particulier par le prix Jules-Janssen, ses 52 années au service de l’État par le grade de commandeur de la Légion d’honneur .

Grand travailleur, Ernest Esclangon a rédigé plus de 230 publications . Peu confor- miste, il a épousé Marie-Léa Cambérou en 1919, quelques années après la naissance de leur fille Germaine en 1911 . Les vacances se passent à Eyrenville (Dordogne), mais chaque année la famille se rend à Mison où Louise, sœur d’Ernest, organise un grand déjeuner qui rassemble la parentèle . Albert Pérard écrit : « Esclangon était d’un naturel gai, d’un caractère enjoué, il aimait la jeunesse. Au milieu de l’admiration qui l’entourait, il était resté un homme simple et droit ». Mort à Eyrenville le 28 janvier 1954, il est enterré à Mison . La place de la mairie porte son nom et un monument rappelle son œuvre .

Danielle ESCLANGON Pansu, fille de Félix ESCLANGON (1922 s)1, 2,
petite-nièce d’Ernest 
ESCLANGON et Jérôme de LA NOË,
directeur de recherches CNRS, honoraire, observatoire de Bordeaux à Floirac .

Notes

  1. 1 .  Un hommage a été rendu à Félix Esclangon (1922 s) par André François-Poncet (1907 l) en 1957 .

  2. 2 .  Noter que le bâtiment Esclangon de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI), à l’angle des rues Cuvier et Jussieu, ne porte pas le nom d’Ernest Esclangon mais celui de Félix Esclangon, décédé accidentellement devant ses étudiants en 1956 dans le petit amphi- théâtre vétuste du 12, rue Cuvier .