DUVERT Louis - 1943 s

DUVERT (Louis), né le 5 septembre 1922 à Arles (Bouches-du-Rhône), décédé le 25 mai 2017 à Grasse (Alpes-Maritimes). – Promotion de 1943 s.


L’homme

Louis Duvert est le fils unique d’une « mère au foyer » née en 1894 et d’un père né en 1897, rescapé de la boucherie du Chemin des Dames, ingénieur, professeur, puis directeur de plusieurs établissements d’enseignement technique (à Maubeuge, Sotteville-lès-Rouen, et Marseille) .

À trois ans, Louis contracte la poliomyélite . Il en guérit, mais avec des séquelles (atrophies musculaires) à une jambe et à un bras . Ce handicap ne l’empêchera toutefois pas d’ef-

fectuer presque toute sa vie de nombreuses randonnées en montagne . En tous cas, cette maladie forge sa volonté et sa philosophie de vie ; en outre, elle lui permet plus tard d’échapper aux obligations militaires .

Ses études primaires et secondaires, de 1928 à 1939, se déroulent sans histoire, à La Seyne-sur-mer, Toulon, puis Maubeuge . Il prépare, et obtient, deux Baccalauréats (« Math élém . » et « Philo »), c’est possible à l’époque . Au début de la guerre, il entre en classe préparatoire : « Math sup . » à Nîmes, « Math spé . » à Marseille, puis à Paris, au lycée Louis-le-Grand ; et à la rentrée 1943, il intègre enfin « Normale sup . » : c’est l’école qu’il visait, car il veut devenir enseignant .

Louis se marie en 1952, à Lyon, avec Louise, fille d’un agrégé de mathématiques, Georges Thovert, normalien également (1916 s) . Ils ont deux enfants : Rémi, né en 1954, devenu aussi « prof de maths » (puis formateur), et Mireille, née en 1957, infirmière en psychiatrie ; suivront deux petits-enfants et trois arrière-petites-filles . En 1982, après 38 ans passés à Lyon, ils se retirent à Saint-Cézaire-sur-Siagne (Alpes- Maritimes), où ils jouissent d’une retraite paisible . Louis y termine sereinement sa vie, et s’éteint dans sa 95e année .

Louis Duvert est ce qu’on appelle un « honnête homme », au sens fort (et peut-être désuet aujourd’hui) du terme . Droit, rigoureux sans être rigoriste, fiable, sérieux et « bosseur », mais aussi grand adepte de l’humour, ouvert, tolérant, laïque, respectueux des autres, et discret, peu attiré par les cérémonies ou les médailles . Ses convictions philosophiques et politiques, souvent hors des sentiers battus, peuvent être qualifiées d’humanistes et de progressistes : il est agnostique, rationaliste, pacifiste, non-violent, antiségrégationniste, altermondialiste, « citoyen du monde », écologiste .

L’enseignant

À l’École normale supérieure, rue d’Ulm (mais aussi à la Sorbonne), Louis passe trois années qui lui laissent un bon souvenir ; il s’entend bien avec ses « coturnes » (André Néron, Jacques Pechmajou et Paul Ponsonnet) . En deuxième année, il est libéré de la physique, qu’il n’apprécie guère, et se consacre pleinement aux mathé- matiques ; parmi les professeurs qu’il découvre, il y a Henri Cartan (1923 s), Georges Bouligand (1909 s), Maurice Fréchet (1900 s), Albert Châtelet (1905 s), Lucien Thiberge (1920 s), Georges Valiron (1905 s), René Garnier, Maurice Chazal (1924 s)... Cela ne l’empêche pas de suivre aussi des cours ou des conférences d’Henri Wallon (1899 l), André Lévy, Louis de Broglie, Gaston Bachelard .

La troisième année est consacrée à la préparation de l’agrégation, qu’il obtient, bien sûr .

Sa carrière de professeur de mathématiques se déroule entièrement à Lyon, au lycée Ampère (de 1946 à 1958), au lycée du Parc (de 1958 à 1961), au lycée technique La Martinière (jusqu’en 1969), puis au lycée Jean-Moulin (jusqu’en 1982, année de sa retraite) .

Il enseigne en « Math élém . », en « Hypotaupe », et, à La Martinière, en « Taupe technique », une classe rare en France . Puis arrive le tournant de sa carrière : il demande à enseigner à temps plein dans un collège-lycée, délaissant ainsi le « pres- tige » de l’enseignement en classe préparatoire (et le salaire qui va avec...) pour se consacrer à une pédagogie « sur le terrain » en accord avec ses idées .

C’est en effet l’époque des « maths modernes » : une réforme certes vouée à l’échec, comme on s’en apercevra plus tard, mais qui passionne Louis . Au lycée Ampère, de 1948 à 1954, il a déjà enseigné ponctuellement dans des « classes nouvelles » et des « classes pilotes » (5e à 3e) ; de 1967 à 1969, il expérimente un « enseignement par fiches » dans une 6e puis une 5e, au lycée Jean-Moulin . Il enseigne même dans le cadre d’une expérimentation à l’école élémentaire (en CM2), et anime des séances de forma- tion pour les parents qui ont du mal avec ces fameuses mathématiques modernes .

Louis est aussi un des membres fondateurs de l’équipe Galion, dont les fichiers et manuels pour collégiens édités entre 1968 et 1981 ont un succès certain . Il devient également animateur à l’IREM (Institut de recherche sur l’enseignement des mathé- matiques) de Lyon, dès sa création, en 1969, et jusqu’en 1976 .

Jusqu’à sa retraite, Louis met en œuvre des pratiques pédagogiques d’avant-garde (pour l’époque) : pour prendre en compte l’hétérogénéité des élèves et compenser l’inefficacité de la prédominance du « cours magistral », il fait travailler les élèves sur des fiches, en leur apportant une aide personnalisée ; il met également en place le travail en groupes (au niveau des élèves), et pratique le travail en équipe (au niveau des professeurs) ; et il remplace la notation chiffrée par une évaluation plus formative .

En bref, peut-être plus que par les mathématiques, il est intéressé par leur « didactique » (une science alors balbutiante) et par tout ce qui touche à la relation pédagogique .

À sa retraite, et pendant une vingtaine d’années, il aide bénévolement des élèves en difficulté dans le cadre de deux associations .

Le militant

Dès 1946, sous l’impulsion de son collègue et futur beau-père, Louis Duvert adhère à l’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’Enseignement public) ; il s’y investit beaucoup, à tel point qu’à l’occasion de sa retraite, il en est promu président d’honneur . Il est par exemple coresponsable du bulletin de l’asso- ciation de 1971 à 1982, cofondateur en 1972 et membre actif pendant une trentaine d’années d’un groupe de travail intitulé « Mots », etc .

Toujours dans le domaine professionnel, il adhère au CRAP (Cercle de recherche et d’action pédagogiques), éditeur des Cahiers pédagogiques, revue très appréciée des enseignants novateurs, à laquelle il s’abonne dès 1951 ; il participe par exemple en tant qu’animateur à deux « rencontres d’été » (1969 et 1970) .

Louis entre également au SNES (Syndicat national de l’Enseignement secondaire, intitulé de l’époque) dès 1946 ; il est secrétaire de S1 (section d’établissement) de 1948 à 1953, de S2 (section du Rhône) en 1957-1958, et de S3 (section académique) en 1959-1960 ; en 1962-1963, il est secrétaire de S2 du SNET (Enseignement tech- nique), syndicat qui fusionnera avec le SNES en 1966 . Même s’il n’est pas toujours d’accord avec les idées défendues par le SNES, il y reste syndiqué jusqu’à sa mort .

Hors champ professionnel, il serait fastidieux de citer ici toutes les associations (une cinquantaine) auxquelles Louis adhère (et plus si affinités !), et toutes les revues (une trentaine), politiques ou non, qu’il soutient en s’y abonnant .

Le littéraire

Louis est bien sûr un « scientifique », mais c’est aussi un mélomane, et un amoureux de la langue . Il en étudie les mécanismes et l’évolution, aime les jeux de mots, s’adonne régulièrement aux mots croisés (il en crée aussi), et produit parfois quelques vers .

Dans son métier, il accorde une grande importance au vocabulaire et à l’expression (écrite ou orale), et essaie d’inculquer aux élèves une certaine rigueur en la matière .

C’est un grand lecteur : il lit quotidiennement divers journaux et revues, et dévore des dizaines de livres par an (littérature classique, histoire, essais...) ; sa bibliothèque comprend plusieurs milliers d’ouvrages : Victor Hugo, Paul Verlaine, Edmond Rostand, parmi tant d’autres .

Dans le domaine professionnel, il rédige divers articles, ainsi que quelques brochures (avec des collègues), et notamment, à la fin de années 1960, une série d’ouvrages pour le grand public intitulée « travaux pratiques de mathématiques » (sur des notions clés de mathématiques dites modernes : ensembles, relations, lois de composition, structure de groupe...) .

Et lors de sa retraite, il écrit régulièrement des textes sur ses idées et ses convictions, sur certains aspects de sa vie ou souvenirs qui l’ont marqué... dans un style bien à lui, mélange de sérieux et d’humour, de gravité et de légèreté . Plus de 400 pages ont été rassemblées par ses enfants dans un ouvrage intitulé « La plume sans masque » (un tome en 2002, un autre en 2012), imprimé à une cinquantaine d’exemplaires donnés à ses proches et ses amis .

Rémi DUVERT