DENISSE Jean-François - 1936 s
DENISSE (Jean-François), né à Saint-Quentin (Aisne) le 12 mai 1915, décédé à Paris le 17 novembre 2014. Promotion 1936 s.
C’est seulement quelques mois avant de devenir centenaire que Jean-François Denisse nous a quittés . Il est né dans une famille d’artistes qui a vite choisi le Midi ensoleillé pour s’y épanouir . Ses études furent retardées, car son père l’emmenait dans la campagne antiboise pour y peindre, tout en enseignant à son fils les rudiments de la langue et les enthousiasmes de la littérature ; Rabelais, Montaigne, Voltaire... Jean- François était en train d’acquérir sous le soleil une solide culture . Il fait ses études d’abord au collège d’Antibes, puis au lycée de Nice . Reçu à l’École normale supérieure en 1936, agrégé de sciences physiques en 1941, il part en 1942 enseigner la physique au lycée de Dakar (Sénégal) . À son retour en France, en 1946, il entre au CNRS pour préparer sa thèse au laboratoire de physique de l’École normale . Après un bref séjour au National Bureau of Standards, il soutient sa thèse en 1950, sur la propagation des ondes dans les plasmas . Le directeur du laboratoire, Yves Rocard (1922 s), a vite remarqué ce jeune et brillant chercheur . Il décide de l’encourager dans sa décision de créer une équipe de radioastronomie, alors une science nouvelle ; autour de lui, les autres membres de l’équipe étaient Jean-Louis Steinberg et Émile Jacques Blum . Leurs premiers instruments importants furent deux antennes paraboliques, d’anciens radars allemands récupérés au titre des réparations, du type Riese-Würzburg et instal- lés à Marcoussis, sur un terrain appartenant à la Marine nationale, dont Rocard était amiral de réserve . Outre les radars allemands, il y avait à Marcoussis deux petits inter- féromètres solaires expérimentaux, construits par Jacques Arsac (1948 s), physicien très compétent dans la théorie de ce type d’instrument (il avait été formé par l’excel- lente école d’optique française) .
En 1953, à l’invitation d’André Danjon (1910 s), directeur de l’observatoire de Paris, le groupe de radioastronomie se déplace à Meudon, et Jean-François Denisse obtient un poste d’astronome . C’est alors que commence l’élaboration d’une station importante de radioastronomie à Nançay, en Sologne : il fallait un grand terrain, pas trop cher, et surtout à l’abri des parasites industriels . Le premier grand instrument, un interféromètre solaire, fut terminé en 1956 . L’équipe s’était largement étendue avec André Boischot, Paul Simon, Jean Delannoy (1952 s), Bernard Morlet (1952 s), Émile Leroux et James Lequeux (1952 s) ainsi qu’une sévrienne, Geneviève Benoit (1952 S), qui allait devenir Madame Lequeux . Ces jeunes gens ont assez vite acquis un renom international, qui valut à Denisse de présider le Comité des recherches spatiales (COSPAR) du Conseil international des unions scientifiques (ICSU) . Les deux radars Würzburg récupérés furent montés en interféromètre à base variable, grâce auquel, de 1959 à 1962, l’un de nous (JL) a effectué son travail de thèse, sur la structure des radios-sources, sous la direc- tion bienveillante de Denisse, et avec les conseils éclairés d’Arsac . En 1954, personne dans le groupe n’avait la moindre notion d’astronomie, et cela se sent en relisant les publications de cette époque qui témoignent parfois d’une certaine naïveté . C’est ainsi que l’équipe a construit une carte radio de la Voie lactée sans connaître les mécanismes de rayonnement correspondants, qui avaient pourtant été mis en évidence par des collè- gues étrangers comme Josef Shklovsky et Karl Otto Kiepenheuer . Quant à Denisse il appliquait brillamment au Soleil ses connaissances sur les plasmas et sur les ondes qui s’y propagent . Il commença, dès la fin des années 1940, par organiser des expéditions afin d’observer les éclipses de Soleil . Il forma dans ce domaine de la physique solaire, de jeunes et brillants chercheurs comme Monique Pick et Anne-Marie Malinge . Au début des années 60, Denisse donnait un enseignement à Orsay, avec Jean-Loup Delcroix (1944 s), Charlotte Peter-Wimel (1942 s) et Jacques Yvon (1922 s), dans le cadre du DEA Plasmas, qui était une grande nouveauté à l’époque . L’un de nous (JL) a eu la chance d’y participer . C’est à cette période que Denisse et Delcroix ont publié chez Dunod leur bel ouvrage sur la Théorie des ondes dans les plasmas .
En 1963, la succession de Danjon comme directeur de l’observatoire de Paris s’avérait fort difficile . Jean-François Denisse, dont les remarquables qualités de leader étaient connues, eut le courage de se porter candidat, et d’être élu dans cette responsabilité majeure de l’astronomie française . Ce fut la fin de sa carrière pure- ment scientifique et le début d’une brillante carrière administrative . Il comprit vite, notamment dans la foulée des événements de 1968, qu’il fallait une organisation nationale autre que le simple Comité national français d’astronomie (CNFA) ; c’est à son initiative que fut créé, par le CNRS, l’Institut national d’astronomie et de géophysique (INAG), dont il fut le premier directeur de 1968 à 1971 . À ce poste, il donna une forte impulsion au démarrage de projets tels que le télescope optique franco-canadien de 3,6 m (le CFHT), qui sera installé au Mauna Kea, sur la grande île d’Hawaï . Jean-François Denisse assuma dans la suite de sa carrière plusieurs autres responsabilités importantes : il fut président du Centre national des études spatiales (CNES) de 1968 à 1973 ; il joua un rôle important pour la création de l’agence spatiale européenne (ESA) . Il présida le Bureau des longitudes en 1974 et 1975 . Sur le plan international, il présida le conseil de l’Observatoire européen pour l’hémisphère sud (ESO) de 1977 à 1981 .
En 1975, il préside la Commission « Recherche » du VIIe plan, mise en place par le gouvernement français . C’est Denisse qui crée, en 1976, la « Mission de la Recherche » au ministère de l’Enseignement supérieur . Après le changement de majorité de l’As- semblée nationale, en 1981, l’un de nous (JCP) se souvient d’un repas à trois à la table de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Recherche ; il fut question de l’avenir des institutions scientifiques françaises et notamment, bien entendu, des observatoires et des instituts de physique du globe . La Mission de la recherche devient un élément central du ministère de la Recherche, confié ensuite à Hubert Curien (1945 s) . Bien entendu, en France, Denisse fait partie ou préside de nombreuses commissions, et son influence est grande auprès des autorités ministérielles .
Ainsi Jean-François Denisse, excellent physicien, remarquable chef d’équipe, puis dirigeant convaincant, fut-il l’un des pionniers de la radioastronomie, et le respon- sable principal de son développement en France . Et durant sa longue carrière, il a joué un rôle considérable dans le développement de l’astronomie en France et en Europe . Élu en 1977 à l’Académie des sciences, il participe à ses travaux jusqu’à l’âge de 95 ans . Il a obtenu de nombreuses distinctions nationales et internationales . Commandeur de la Légion d’honneur, grand-croix de l’ordre national du Mérite, membre de l’Académie internationale d’astronautique, membre de plusieurs acadé- mies étrangères, il a reçu le prix Ancel de l’Institut de France, le prix Jaffé de l’Institut de France, le prix Cognacq-Jay de l’Institut de France, le prix Janssen de l’Institut de France, le prix Holweck, le prix des Trois-Physiciens...
Mais il ne faudrait pas clore cette notice sans mentionner les grandes qualités humaines de Jean-François Denisse . Tous deux, les signataires de cette notice s’en souviennent avec émotion .
James Lequeux : « Mes relations avec Denisse étaient plus intimes et plus chaleu- reuses que ne le sont habituellement celles du maître et de l’élève . Cela était dû à ses grandes qualités humaines, que j’ai pu apprécier particulièrement en lui rendant quelquefois visite dans sa maison familiale, le Tamisier, au Cap-d’Antibes . J’ai trouvé une tribu artiste un peu bohème, extrêmement sympathique et nous allions nous baigner ensemble dans les rochers de voisinage . Denisse avait le sens de la fête, et ceux qui ont fréquenté Nançay dans les années 50 et 60 se souviennent certainement des soirées grandioses où l’on dansait et chantait jusque tard dans la nuit ; ce sont des souvenirs heureux et c’est par ces souvenirs heureux que je voudrais clore cet hommage pas très conventionnel à celui qui fut mon maître et mon ami . » Jean-Claude Pecker : « J’ai souvenir de mes premières rencontres en 1946 avec Jean- François sur le tennis installé sur le toit des laboratoires de physique de l’École ; nous échangions quelques balles ; mais il était expert à cet exercice et j’ai vite renoncé . Plus tard nous avons toujours gardé des relations chaleureuses, que ce soit à Paris, à Lozère (dans la vallée de Chevreuse) et surtout au Tamisier, où je me souviens avoir dansé sous sa houlette le quadrille des lanciers ! Jean-François était un ami fidèle et nous avons beaucoup discuté ensemble, notamment de ses idées très originales sur une « théorie du Tout » ; le propos était ambitieux, si ambitieux que Denisse n’arriva jamais à le concrétiser par un texte complet, ce qu’on me permettra de regretter » .
La vie de famille, que ce soit à Paris, Antibes ou Lozère, a toujours compté beau- coup pour notre ami Jean-François . Nous dédions cette notice à sa femme Myriam et à ses filles Claude et Josée .
James LEQUEUX (1952 s) et Jean-Claude PECKER (1942 s)