DECOMPS Bernard - 1957 s

DECOMPS (Bernard), né à Metz (Moselle) le 25 septembre 1936, décédé à Paris le 8 novembre 2016. – Promotion de 1957 s.


Issu d’une famille du Sud-Ouest, Bernard doit à son père son lieu de naissance dans une région diamétralement opposée . Celui-ci, ingénieur civil des Ponts et Chaussées, engagé comme officier du Génie, était affecté aux travaux de la ligne Maginot . Bernard ne restera pas dans l’Est, et rejoindra ses grands-parents maternels dans la région de Toulouse dès sa deuxième année, avec son frère, d’un an son cadet . Les tribulations de la guerre et des affectations paternelles feront que les deux frères ne rejoindront le toit de leurs parents qu’en 1947 . Bernard avait alors onze ans et rentrait en sixième . Enseignant à la retraite, son grand-père s’était fixé à Grenade-sur-Garonne, de sorte que Bernard a bénéficié d’une scolarisation primaire villageoise dont il gardait un très bon souvenir . Durant toute sa scolarité, son grand père aura une très grande influence sur lui .

Les quatre années du collège se passent au « petit » lycée de Toulouse (maintenant « Pierre-de-Fermat ») . Puis c’est au lycée de Pau, où ses parents habitent désormais, qu’il poursuit le second cycle d’études secondaires, y réussissant brillamment, en particulier en géographie, sa passion . Il entre ensuite au lycée de Toulouse en math sup . et prend la tête du classement sans difficulté . Las, un point de pleurite l’obligera à interrompre une première année de Taupe à Noël, mais cela lui procurera le loisir de découvrir les polycopiés rédigés par Albert Messiah pour initier les ingénieurs EDF à la mécanique quantique . La seconde année de Taupe se passe sans anicroche . En 1957, il réussit le concours de l’X et celui de l’ENS . Les encouragements d’élèves toulousains le convainquent finalement d’intégrer l’ENS .

Là, il se tourne vers la physique, séduit par la qualité des professeurs . Il a gardé en particulier une immense admiration pour A . Kastler (1921 s) . Il apprécie aussi beaucoup l’accès de « plain-pied » des élèves dans les laboratoires . Un travail de thèse de 3e cycle dans l’équipe de Jean Brossel (1938 s) et Alfred Kastler lui apprendra les techniques du vide et de la spectroscopie . Il sortira de l’École en 1961, agrégé et marié à une mathéma- ticienne, Annette . Leur famille s’enrichira bientôt de trois enfants, François, Cécile et Joëlle . Un service militaire de 18 mois comme scientifique du contingent le conduit à Cherbourg où il enseigne quelques mois, puis à l’École polytechnique . Là, il est affecté au laboratoire de physique dans une équipe travaillant sur le laser à Hélium-Néon . Il contribuera ainsi à la première oscillation d’un laser He-Ne en France, un an après sa découverte par Ali Javan aux laboratoires de la « Bell Telephone », aux États-Unis . À l’instigation de Jean Brossel qui lui a donné comme sujet de thèse « voir ce que l’on peut faire avec des lasers », il fait un séjour chez Ali Javan (parti entre-temps au MIT) . Rentré en France, il prend un poste d’agrégé-préparateur, chargé de la préparation à l’agrégation . Il monte une équipe avec son ami Michel Dumont (1958 s) pour explo- rer tous les effets que l’on peut tirer d’un rayonnement laser en interaction résonnante avec une transition atomique . Ils développeront aussi bien les idées sur le pompage optique par un laser, que des techniques expérimentales originales . Le groupe s’enri- chira rapidement de plusieurs élèves . Peu après avoir soutenu sa thèse d’État en 1969, Bernard Decomps obtient un poste de professeur (maître de conférences à l’époque) à l’université de Paris-XIII débutante . Pendant toute cette période à l’ENS, il s’était aussi impliqué dans des groupes de travail au ministère de l’Éducation nationale ou ailleurs pour faire avancer des idées qui deviendront réalités plus tard : allocation de recherche pour la préparation des thèses, formation des assistants de l’Enseignement supérieur... Son intérêt et ses aptitudes pour l’Administration et la chose publique seront remarqués dès cette époque .

À Paris-XIII, avec son énergie et hyperactivité coutumières, en plus de ses tâches d’enseignant, il s’implique fortement dans le développement de l’université, d’abord à Saint-Denis, puis sur le campus de Villetaneuse . En attirant des chercheurs de talent, il crée en 1973 une équipe de recherche, qui deviendra ensuite le « Laboratoire de Physique des Lasers » pour développer diverses voies d’application des lasers dont deux qu’il juge particulièrement intéressantes : la métrologie et le biomédical . Il faut reconnaître que, sur le long terme, ces directions se révèleront incroyable- ment fructueuses . Très occupé par ses responsabilités dans l’université (création des enseignements, construction du bâtiment des laboratoires), il garde néanmoins une activité expérimentale en y consacrant ses soirées et ses vacances .

En parallèle, il participe dès 1970 à une réflexion au niveau du Ministère pour mettre en place des formations (« les maîtrises des sciences et techniques ») qui soient recon- nues par le monde industriel . Cet objectif ne se concrétisera que dix ans plus tard, mais il illustre un souci constant de Bernard Decomps au cours de sa carrière : concilier Recherche et Technologie, formation universitaire et emploi industriel . À la fin des années 1970, il sera pendant deux ans chargé de mission au CNRS auprès de Jacques Winter (1949 s), directeur du « Département Mathématiques et Physique de Base » .

L’année 1981 marque un basculement vers le métier d’administrateur de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui prendra des formes variées jusqu’en 2001 : direction de la recherche au ministère de l’Éducation nationale (81-86), prési- dence du Conseil national Éducation Économie (Ministère de l’Éducation nationale), vice-présidence du Conseil supérieur de la Recherche et de la Technologie au minis- tère du même nom (88-91), direction générale de la Recherche et de la Technologie (91-94), direction de l’ENS de Cachan (1994-2000) .

Nommé en 1981 à la mission, puis direction de la recherche dans le ministère d’Alain Savary, à l’Éducation nationale, il entreprend de mettre en place une politique de contractualisation de la recherche avec les établissements universitaires s’appuyant sur une évaluation différenciée des équipes et laboratoires de recherche, et sur l’éla- boration par les établissements eux-mêmes d’une politique affichant des objectifs et des priorités . La même stratégie sera mise en place pour la répartition des emplois d’enseignants entre disciplines et entre établissements . Le dialogue avec les Régions fait aussi partie de cette négociation . Trente ans après, ce cadre général des rapports entre le Ministère et les établissements d’enseignement supérieur existe toujours . L’élaboration de la « Loi Savary » sur les universités et grands établissements lui donne l’occasion de participer en direct à des décisions importantes sur les diplômes nationaux (qui seront maintenus), et sur le corps unique pour les enseignants (qui sera refusé) . Il pilotera également, en collaboration avec Colette Connat et Josette Connes, le déploiement d’un environnement informatique universitaire à un niveau correct, et la mise en place d’enseignements pour former les compétences informatiques dont le pays avait besoin à court et moyen terme . Enfin il crée les allocations AMN et AND pour adapter la scolarité en quatre ans des ENS à la nécessité d’obtenir un doctorat en trois ans . Ce dispositif essentiel pour les normaliens est toujours en place .

Après la cohabitation de 1986 à 1988 qui le renvoie à l’université de Paris-XIII, il est nommé vice-président du Conseil scientifique de la Recherche et de la Technologie qui pilote le budget civil de la recherche, puis directeur général de la recherche et de la tech- nologie (DGRT) au ministère de la Recherche sous l’autorité d’Hubert Curien (1945 s) de 1991 à 1994 . En parallèle, il est chargé par le ministre de l’Éducation de présider le Conseil national Éducation Économie, ce qui lui permet de renouer avec ses préoccu- pations sur la formation professionnelle . Pour permettre à des personnels titulaires d’un DUT ou d’un BTS d’accéder à un niveau « ingénieur », il met en place avec l’appui des employeurs la possibilité de faire un complément en formation continue . De plus il ouvre la possibilité de faire une formation initiale d’ingénieur en contrat d’apprentissage d’une durée de trois ou cinq ans, suivant le niveau initial de l’élève . Ce sont les « ingé- nieurs des techniques industrielles » connus plus brièvement sous le nom de « ingénieurs Decomps » . Ils représentent actuellement 10 % des ingénieurs formés en France .

À l’instigation d’Hubert Curien, il organise de grands colloques de prospective pour aider la puissance publique à dégager des priorités pour l’avenir . Un exercice intéressant, mais qui laissera hélas peu de traces au-delà des participants eux-mêmes .

Son passage à la DGRT se fait dans un contexte de budget contraint . Le suivi des nombreux organismes publics sur lesquels le ministère de la Recherche a une tutelle au moins partielle occupe une bonne partie de son temps . Là encore, des contrac- tualisations pluriannuelles sont proposées et seront mises en place dans la durée . Une autre action importante est l’élaboration par les Régions de plan de dévelop- pement de la recherche en cohérence avec le développement économique et social . L’accompagnement par l’État et les Régions de jeunes chercheurs pour développer de nouvelles équipes, et le soutien à la création de postes d’enseignants-chercheurs et de chercheurs en région conduiront sur le long terme à un rééquilibrage de la répar- tition de la recherche en France, avec un peu moins de 50% pour l’Ile-de-France actuellement .

À partir de 1994, la direction de l’ENS de Cachan pendant sept ans permet à Bernard Decomps de mettre en œuvre ses talents d’animateur et de constructeur de projets, en même temps que de promouvoir des enseignements techniques et professionnels qui lui tenaient à cœur . Renforcer l’attractivité de l’École par des modalités de recrutement spécifiques, développer les laboratoires de recherche dans toutes les disciplines fondamentales et appliquées en attirant des équipes nouvelles, mettre en place des contrats avec les grands groupes industriels, développer l’antenne de Rennes, tels étaient ses objectifs dans la continuité avec ce que son prédécesseur Yves Malier avait impulsé . Il s’implique avec beaucoup d’énergie dans le pilotage des transformations internes par des réunions fréquentes avec tous les acteurs, à tous les niveaux et il gère des chantiers immobiliers très lourds . Il avait l’idée que cette ENS avait un créneau spécifique à exploiter, les « sciences pratiques » . Conscient de l’iso- lement de sa localisation à Cachan, il a cherché à constituer un pôle dans la Vallée de la Bièvre avec l’Institut Gustave-Roussy, le CNET, l’École centrale dans le but d’y attirer de nouvelles entreprises . Il misait également sur une mise en réseau avec des ENS à l’étranger (Tunisie, Maroc, Liban, Vietnam, Sénégal) . Si ces projets sont main- tenant partiellement obsolètes avec la perspective du déménagement vers le plateau de Saclay au sein d’un pôle scientifique autrement plus vaste, il reste que le dévelop- pement des laboratoires, des mathématiques aux sciences humaines et sociales, et une orientation de plus en plus marquée des élèves vers la recherche reste un acquis précieux pour cette École devenue ENS-Paris-Saclay . Lors d’une cérémonie d’hom- mage organisée par son président Pierre-Paul Zalio, de nombreux personnels de cette école ont montré leur attachement et leur reconnaissance à ce grand directeur que fut Bernard Decomps .

Nommé président du conseil scientifique de l’École nationale des ponts et chaus- sées et du CEMAGREF, puis président du conseil d’administation du CSTB et de l’INRETS, il s’impliquera fortement dans la constitution d’un pôle de compétitivité regroupant à Marne-la-Vallée une université, des écoles d’ingénieurs, des établisse- ments publics, des entreprises industrielles ou de services autour de la thématique « ville et transports du futur » qui prendra le nom de « Advancity » . Il intègrera ces thèmes dans ses préoccupations et y consacrera de nombreux rapports par la suite .

Élu à l’Académie des technologies en 2005, il rédigera des rapports sur la formation professionnelle, l’enseignement technique, la validation des acquis de l’expérience, qui s’inscrivent dans la droite ligne de ses préoccupations antérieures . Il s’est également intéressé à l’urbanisme du futur à mettre en œuvre dans une économie « post-carbone » . Il était chevalier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre national du Mérite .

Bernard Decomps était doué d’un pouvoir de conviction et d’entraînement peu commun . Ses enfants, qu’il emmenait l’été sur des sentiers de Haute-Maurienne qui leur paraissaient sans fin, en témoignent encore en riant . Grand-père de dix petits- enfants, il suivait leur parcours scolaire depuis l’apprentissage de la lecture jusqu’aux problèmes d’orientation des aînés . Optimiste, bouillonnant d’idées, toujours à la recherche de solutions plus que de problèmes, il a laissé en de nombreux endroits des contributions importantes et durables .

Martial DUCLOY (1964 s),
Michel DUMONT (1958 s),
Jacques DUPONT-ROC (1964 s),
Élisabeth FOURNIER GIACOBINO (1965 S),
Jean-François ROCH .