CAHEN (épouse MOSSÉ) Emma - 1892 S
CAHEN (Emma, épouse MOSSÉ), née le 3 novembre 1873 à Paris, décédée le 18 novembre 1952 à Paris. – Promotion de 1892 S.
Les parents d’Emma Cahen, originaires de la région de Metz, s’étaient installés à Paris après leur mariage, en 1868 . Là naquirent leurs 6 enfants, 2 garçons et 4 filles1 . Contrairement aux habitudes de l’époque, trois de ces filles ne voulurent pas se limiter au rôle de femme au foyer, et commencèrent une carrière d’enseignante .
C’est ainsi qu’Emma entra en 1892 à l’« École normale supérieure d’enseignement secondaire à Sèvres » (dénomination de l’époque) . En 1895, l’agrégation féminine de Sciences fut scindée en agrégation de mathématiques et agrégation de sciences physiques et naturelles . Cette année-là, Emma fut reçue première à l’agrégation de mathématiques nouvellement créée .
Mais elle fut bientôt confrontée au manque de postes disponibles à cette époque dans l’enseignement secondaire féminin, créé depuis peu d’années par Camille Sée ; et dont le corps professoral était complètement séparé administrativement de celui des hommes, et où, bien sûr, il n’y avait pas de départs en retraite . Ceci malgré l’ou- verture rapide de nouveaux lycées de jeunes filles (36 de ces établissements furent ouverts entre 1882 et 1893) . Si bien que, pour sa première année d’agrégée, elle dut se contenter d’une suppléance de trois mois au collège de filles de Lille, suivie d’un emploi temporaire de répétitrice au lycée Fénelon de Paris . Pourtant la directrice de cet établissement trouvait légitime son désir d’être affectée à une chaire de lycée . Elle resta ensuite deux ans professeur de sciences « à titre provisoire » au collège de jeunes filles de Laon .
Enfin, en août 1898, la nomination dans un lycée : au lycée de jeunes filles d’Annecy, nouvellement créé . Elle est un peu déçue, car elle avait demandé à être peu éloignée de Paris où résidait sa famille ! Annecy est trop loin de Paris, mais n’est pas très loin de Chambéry, où réside un jeune professeur de lettres classiques, Émile Mossé, originaire d’Avignon . Ils demandent à être nommés tous deux dans la même ville, car leur mariage est prévu à la fin de l’année 1899 . La ville qui leur est proposée est Tournon (Ardèche), où existent un lycée de garçons et un lycée de filles (ouvert en 1885, peu après la création des lycées de jeunes filles par la loi Camille-Sée en 1880) . Leurs deux chefs d’établissement sont témoins à leur mariage civil, juste avant les vacances de Noël 1899 . Dans cette ville naissent leurs enfants René et Marthe . L’administration n’est pas tendre pour les jeunes mères, puisque, trois semaines après la naissance, Emma devrait reprendre ses cours ; son médecin s’y oppose .
En 1907, le couple, trouvant que Tournon n’a guère de vie intellectuelle, demande une mutation . Ils sont nommés à Lille . Le collège où Emma a débuté en 1895 est devenu le lycée Fénelon de Lille ; ses supérieurs écrivent que « madame Mossé, qui est un excellent professeur, pourrait assurer l’enseignement scientifique de la 6e année de ce lycée » . La 6e année accueille les candidates au bac Math élem ., et celles qui veulent se présenter aux concours d’entrée à Sèvres et Fontenay . Heureusement, les effectifs sont faibles : en 1922, elle a sept élèves pour le bac Math élem . et quatre préparant Sèvres et Fontenay . Mais Emma, quoiqu’agrégée de mathématiques, doit aussi assurer les cours de physique, de chimie, de biologie . Ce n’est qu’à la toute fin de sa carrière que son service comporte uniquement des cours de mathématiques . Son époux, Émile Mossé, enseigne de 1907 à 1913 au lycée de Tourcoing, proche de Lille, puis est nommé à Lille .
Pendant l’été 1914, le couple, avec ses enfants, vient passer ses vacances à Avignon chez la sœur d’Émile, la guerre interdisant toute villégiature . Le 19 septembre 1914, constatant le déroulement de la guerre (Lille a été brièvement occupée par les Allemands du 2 au 5 septembre) Émile télégraphie au Ministère pour demander s’il doit regagner Lille pour la rentrée des classes ; on lui répond que son épouse et lui doivent rejoindre leurs postes . Les voilà donc à Lille le 1er octobre . Mais le 3 octobre commence un bombardement, qui sera bientôt suivi par l’entrée des troupes allemandes (l’Occu- pation durera 4 ans) . Une consigne non écrite circule, enjoignant aux hommes âgés de moins de 48 ans de quitter la ville pour éviter d’être faits prisonniers . Ce que fait Émile ; mais Emma n’est pas concernée par cette décision, elle doit rester à son poste . Les enfants sont toujours à Avignon ; on les met en pension dans leurs établissements scolaires respectifs . L’administration affecte Émile à Nantes, pour quatre mois, puis à Toulon . Il décrit la situation de sa famille au recteur d’Aix, demandant instamment d’être détaché à Avignon, pour pouvoir s’occuper de ses enfants, leur mère étant toujours à Lille ; il obtient ce détachement à la rentrée d’octobre 1915, mais reçoit un ordre de mobilisation en décembre, malgré ses quarante-cinq ans, et est alors soldat auxiliaire affecté comme secrétaire dans un bureau, à Avignon ; on l’y gardera jusqu’à la fin de l’année 1916 . Emma restera quinze mois à Lille sous une occupation alle- mande dure, entendant le bruit du canon car Lille est à une vingtaine de kilomètres du front ; elle continue ses cours « pas assez pour me fatiguer », dit-elle . Elle est déprimée par l’éloignement de sa famille : mari, enfants, parents, frères et sœurs et le manque de nouvelles d’eux . De temps en temps se présente une occasion de faire passer une lettre .
Pendant l’année 1915, on apprend à Lille que quelques trains d’« évacués » ont rejoint la France, certains restant plusieurs semaines en route . Emma en parle au recteur de Lille, qui lui refuse l’autorisation de quitter son poste . Le 8 décembre 1915, des affiches sont placardées, annonçant le prochain départ d’un train d’évacués volontaires organisé par la Croix-Rouge . Emma se fait inscrire, comme malade grave, séparée de ses enfants . Le recteur pris de remords propose de s’occuper d’elle, le délé- gué régional de la Croix-Rouge la recommande . Enfin, le 16 décembre, sa sœur reçoit à Paris un télégramme venant de Suisse, annonçant sa prochaine arrivée à Lyon, où son mari va venir la chercher .
À partir d’avril 1916, considérée comme « professeur au lycée de jeunes filles de Lille en congé », elle est chargée de cours de physique au lycée de garçons d’Avignon .
Au début de l’année 1919, les deux époux demandent et obtiennent leur réin- tégration à Lille ; le recteur de Lille écrit au ministre que c’est lui qui a autorisé madame Mossé à quitter Lille en décembre 1915 (pour qu’elle ne soit pas accusée d’abandon de poste ?) . Dès leur retour à Lille, en 1919, les époux demandent à être nommés dans des lycées de Paris ; on leur objecte la difficulté de trouver un poste double .
En juillet 1922, Émile reçoit une nomination à Paris au lycée Rollin (aujourd’hui Jacques-Decour), mais est surpris d’apprendre que son épouse doit renoncer à un poste double . En 1923, Emma est toujours à Lille ; éprouvée par de sérieux ennuis de santé, découragée de ne pas obtenir la mutation espérée, elle demande sa retraite . Demande satisfaite le 1er juin 1924 . Elle avait 50 ans, avait tout au long de sa carrière été considérée par ses supérieurs comme « aussi dévouée qu’intelligente, une maîtresse parfaite » . Sa santé s’est ensuite améliorée, puisqu’elle a encore vécu près de 30 ans, et a vu naître et grandir ses quatre petits-fils .
Andrée LANTZ MARGOLIN (1942 S)
Note
1 . L’un de leurs fils est le père de Jacques Gabriel Cahen (1927 l), objet d’une autre notice nécrologique publiée dans ce recueil, p . 130 .