MARTIN André - 1953 s

MARTIN (André), né le 19 avril 1934 à Chaville (Seine-et-Oise), décédé le 24 mai 2015 à Lyon (Rhône). - Promotion 1953 s.


Toute la carrière d’André Martin s’est déroulée en classes préparatoires (mathématiques supérieures puis mathéma- tiques spéciales) avant qu’il n’accède à l’Inspection générale de mathématiques .

Aîné de quatre enfants, André Martin est né le 19 avril 1934 à Chaville . Son père, Henri Martin, était professeur de lettres, normalien de la promotion 1921 . Il connut une fin tragique, faisant partie des otages pris par les Allemands et tués dans le tunnel du Chambon le 11 août 1944 ; il avait alors 43 ans . André m’a parlé à deux reprises au moins, de manière très pudique, de ce drame ; à travers ces confidences très brèves, j’ai senti quelle place cette disparition tenait encore dans sa vie .

En 1942-43 et 1943-44, André est élève au petit lycée Janson-de-Sailly, son père étant professeur au lycée Claude-Bernard . En octobre 1944, il rejoint l’école de Villar d’Arène jusqu’en décembre, puis le lycée Claude-Fauriel à Saint-Étienne où il restera de la 6e à la classe de mathématiques spéciales . Il entre en 1953 rue d’Ulm .

Agrégé de mathématiques, il est nommé au Prytanée de La Flèche pour son service militaire ; il enseigne alors en classe de mathématiques supérieures .

Il est ensuite affecté au lycée du Parc en 1963, en mathématiques supérieures tout d’abord, puis dans la classe de mathématiques spéciales M’2 (ancêtre de la MP*2) où il restera jusqu’à son départ pour l’Inspection générale en 1990 . Il quittera celle-ci cinq ans plus tard pour prendre sa retraite .

Ces quelques dates ne constituent qu’un cadre et ne disent rien de l’essentiel, du moins de ce que j’ai pu entrevoir, enseignant moi-même pendant une quinzaine d’an- nées une discipline voisine dans la classe parallèle . Je n’oublie pas qu’André Martin fut, voici un peu plus de quarante ans, le premier collègue à m’accueillir chez lui parmi les siens . Son épouse, Annie, et leurs trois enfants, Marie-Agnès, François et Anne-Claire, qui étaient alors très jeunes, ne l’ont pas oublié non plus, puisqu’ils m’ont demandé de dire quelques mots à l’occasion de ses obsèques, puis de rédiger cette notice . Je leur en suis particulièrement reconnaissant .

Qu’il me soit permis, ici, d’évoquer notre ancien collègue de manière un peu plus personnelle .

André Martin avait suivi, au lycée Claude-Fauriel, le cursus classique qui donnait une grande place aux disciplines littéraires . Son profond attrait pour la culture trouve sans doute là une de ses sources . Profondément croyant, il a été longtemps une cheville ouvrière de la « paroisse universitaire » et j’ai cru comprendre que c’est dans ce cadre qu’il rencontra son épouse Annie, originaire de Montluçon, qui a longtemps ensei- gné l’éducation musicale en collège et dont j’ai eu l’occasion d’admirer les talents de pianiste . La musique était aussi un domaine de prédilection d’André, et cette grande ouverture d’esprit lui ouvrit tout naturellement en 1990 les portes de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de la ville de Lyon dont il fut un temps président . C’est à ce titre qu’il accueillit, en 1998, au cours d’une séance solennelle tenue dans les grands salons de l’Hôtel de Ville, son ancien condisciple de l’ENS, Claude Cohen- Tannoudji, qui avait reçu le prix Nobel l’année précédente .

Au lycée, ses collègues, ses anciens élèves, se souviennent sans doute de ce profes- seur qui avait une grande élégance, une distinction naturelle, une allure restée très longtemps quasi juvénile, une attitude un peu réservée, tempérée par une voix très douce et une courtoisie sans faille . Ses propos étaient riches et vifs, permettant de deviner une vaste culture ; ils se teintaient aussi parfois d’un soupçon d’ironie .

Ses élèves lui savaient gré de la clarté de ses cours, de sa hauteur de vue jointe à une humilité d’artisan, ce qui lui faisait dire : « Les mathématiques c’est tout d’abord des calculs et des dessins. » Son rayonnement auprès des étudiants dépassait largement les murs de sa classe, et l’un de mes propres élèves, devenu lui-même inspecteur général, me disait trente années plus tard avec admiration : « Monsieur Martin était le profes- seur de la classe d’à côté, très versé dans la géométrie. »

Cette habileté en géométrie, qui faisait l’admiration des élèves même vers la fin de sa carrière où l’importance de cette branche des mathématiques était considéra- blement réduite, avait une origine qui me fut révélée bien plus tard . Après un repas, alors que j’évoquais devant lui un problème de construction que j’avais rencontré, André, qui était à la retraite depuis près de vingt ans, saisit immédiatement de quoi il s’agissait (sans figure bien entendu) et me mit sur la piste d’une solution beaucoup plus élégante . Devant ma surprise, il me dit très simplement : « Lorsque j’étais élève en spéciales, j’assimilais l’analyse sans grande difficulté mais la géométrie me donnait du fil à retordre . Alors j’ai concentré tous mes efforts sur cette partie du cours ; c’est ce qui m’a permis de réussir au concours . »

Il serait souhaitable d’évoquer de manière plus précise son travail auprès de ses élèves mais il est pratiquement impossible, du moins dans le cadre d’une notice, de rendre compte de ce qu’est la vie, dans sa classe, d’un professeur de classe préparatoire . On risque la banalité, l’hagiographie ou la succession d’anecdotes . Pourtant, cette vie est riche, tant sur le plan intellectuel que sur le plan humain, mais elle s’accomplit dans un cadre discret . Elle s’apparente à ce travail d’artisan que j’ai déjà évoqué plus haut, artisan soucieux avant tout de transmettre son savoir-faire .

Fort heureusement, en ce qui concerne André, le texte très riche de la conférence qu’il a faite sur le mathématicien Desargues permet d’obtenir indirectement une vue assez précise de sa curiosité intellectuelle et de son travail de professeur . Qu’il me soit permis de préciser ici le cadre dans lequel ce travail fut conçu .

J’ai mentionné plus haut l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de la ville de Lyon, une de ces académies de province dont l’histoire remonte parfois très loin . Un arrière-grand-oncle d’André, Joseph Bonnel, lui aussi professeur de mathématiques, en fut membre . André Martin y fut élu le 3 juin 1980 et prononça son discours de réception le 19 mai 1981 . Le choix du sujet de cette conférence était on ne peut plus judicieux : l’évocation du mathématicien lyonnais Girard Desargues (1591-1661) . À cette époque, celui-ci n’était guère connu que des mathématiciens férus de géomé- trie . Le premier grand colloque consacré à Desargues se réunit en 1991 à l’occasion du quatrième centenaire de sa naissance . Aux lecteurs de cette notice qui ignore- raient le nom de Desargues, signalons que Pascal le considérait comme son maître en géométrie .

Devant une assemblée choisie mais où les personnes ayant des clartés en mathé- matiques sont malgré tout fort minoritaires, André Martin évita soigneusement la voie facile qui aurait consisté à puiser, dans une vie fertile en péripéties, les éléments d’une conférence purement mondaine . Car la vie de Desargues tient du roman : ami de Descartes et du père Mersenne, connu et estimé de Richelieu, fréquentant à Paris Étienne Pascal, son fils Blaise ainsi que Roberval, architecte de surcroît, doté d’un fort caractère, s’adonnant à la polémique, auteur d’une méthode pour apprendre à chanter . . ., Desargues réunissait en lui bien des facettes de l’honnête homme . Bien entendu, André Martin évoqua tous ces aspects dans un discours richement docu- menté et rédigé dans une langue d’une clarté parfaite . Mais la probité de l’enseignant ne pouvait passer sous silence l’aspect technique de l’œuvre de Desargues . Aussi l’as- sistance eut-elle droit à la projection de dix figures, toutes soigneusement tracées à la main, évoquant quelques grands théorèmes auxquels le nom de Desargues est attaché . Je ne suis pas certain que tous aient savouré à sa juste valeur la richesse du théorème sur les triangles perspectifs qui fait apparaître, comme par magie, trois points alignés ; mais je crois qu’André n’aurait pas pu se résoudre à évoquer un mathématicien sans « montrer » des mathématiques . C’eût été du travail bâclé .

Au cours de sa retraite, s’éloignant quelque peu des mathématiques, André a litté- ralement « cultivé l’art d’être grand-père », laissant alors paraître ses émotions et la joie qu’il éprouvait à s’occuper ainsi de ses petits-enfants .

J’ai revu André à la clinique dans les derniers temps de sa maladie . Nous avons évoqué quelques souvenirs liés à sa classe et il m’a dit : « Je me demande comment j’ai pu tenir . » Cette maîtrise de son sujet, cette aisance dans les exposés, étaient le fruit d’un travail intense dont les élèves n’étaient peut-être pas parfaitement conscients, tendus qu’ils étaient vers d’autres objectifs, à vrai dire très compréhensibles . « Que reste-t-il à l’homme de toute la peine pour laquelle il se fatigue sous le soleil ? » interroge lourdement l’Ecclé- siaste . Question à laquelle un vieil ami jésuite apportait cette réponse audacieuse et sereine : « il peut en rester beaucoup » ; ce bon père pensait bien entendu aux promesses de la Bonne Nouvelle, et à la vie en Dieu à laquelle André croyait profondément .

J’ajouterai que, de cette peine, il peut en rester beaucoup également en ce monde à travers toutes celles et tous ceux sur lesquels nous avons exercé une certaine influence, pour lesquels nous « avons compté » . Ces deux vues se complètent d’ailleurs plus qu’elles ne s’opposent, tant il est vrai que la grâce sait souvent faire bon usage du tissu des relations humaines, généralement à notre insu .

Ma gratitude va au professeur Pierre Crépel, membre et ancien président de l’Aca- démie des sciences, belles-lettres et arts de la ville de Lyon, qui m’a procuré le texte de la conférence d’André Martin consacrée à Desargues et qui m’en a facilité la lecture .

Je tiens à remercier la famille d’André de m’avoir fait confiance en me permettant de rédiger cet hommage et de m’avoir fourni de nombreux renseignements concer- nant sa carrière . Que toutes et tous sachent que j’exprime ici pour André, avec des moyens forcément limités, une grande admiration et une grande reconnaissance .

Jacques RENAULT (1967 s)