Joannès Vermorel
Cette rubrique reflète la diversité de pensée des normaliens. L’a-Ulm ne cautionne en aucun cas les opinions émises par les interviewés.
Joannès Vermorel (2002 s, Corps des Mines) est le fondateur de la société Lokad.Questions à Joannès Vermorel
Jean-Paul Hermann : Quand on regarde l’annuaire de l’ENS à la rubrique « Informatique », on trouve une seule colonne de noms, soit 3 fois moins qu’en philosophie et 9 fois moins qu’en mathématiques. Vous-mêmes donnez l’impression d’un informaticien pur sucre mais j’ai le sentiment que dans votre activité il y a aussi des maths et beaucoup de choses. Peut-être pourriez-vous d’abord nous décrire ce que fait Lokad, l’entreprise que vous avez fondée.
Joannès Vermorel : Lokad est un éditeur logiciel, lancé en 2008, dont la finalité est d’aider les entreprises à optimiser leur logistique et leurs stocks, notamment via une meilleure anticipation de la demande future. La technologie est un mélange de statistique, d’algorithmique; mais la partie logicielle pure - qui assure la “logistique” de la donnée - est également très importante. 90% de nos clients sont aujourd’hui hors de France. La société est rentable depuis 2 ans et toujours en forte croissance.
Jean-Paul Hermann : La prévision des ventes et des activités est une science, pas de doute, mais est-ce une science récente, basée sur des théorèmes nouveaux ou est-ce plutôt une activité reposant sur la disponibilité de données sur une vaste échelle ?
Joannès Vermorel : La particularité des traitements avancés de la donnée - comme la prévision de la demande - est de mélanger des éléments connus depuis deux siècles ou plus - mais également de s’appuyer sur des résultats parfois beaucoup plus récents. La disponibilité des données en masse et la possibilité de les traiter en masse également offre des opportunités - que Lokad exploite - pour industrialiser beaucoup de bonnes idées, pas forcément toutes très récentes.
Jean-Paul Hermann : Quel a été votre itinéraire pour en arriver à créer une entreprise ? Ce n’est pas forcément « naturel » pour un normalien, non ? La compétence technique (informatique) suffit-elle pour réussir ?
Joannès Vermorel : À part un très bref passage par le Corps des Mines, j’ai créé ma société directement en sortie d’école. Effectivement, je pense avoir été le seul de ma promotion à le faire, un parcours atypique donc. S’il y a une leçon que je retiens, c’est que l’intelligence et la compétence technique ne sont que des qualités relativement secondaires lorsqu’il s’agit d’entreprendre. Une ténacité sans faille est une vertu très supérieure. Cela dit, avoir des compétences techniques est un atout considérable.
Jean-Paul Hermann : Une entreprise, quelle qu’elle soit, c’est forcément une équipe. Quelle est la recette d’une équipe gagnante ?
Joannès Vermorel : Je co-dirigeLokad depuis des années avec mon épouse qui se trouve être normalienne également, mais de formation littéraire. C’est une platitude que de dire que la diversité des caractères et des talents contribue à la réussite d’une entreprise, mais cela n’en reste pas moins vrai. Par ailleurs, aucun des 5 premiers salariés de Lokad ne fait plus partie de l’entreprise aujourd’hui même si nous sommes restés en très bons termes. Aujourd’hui, une entreprise ne peut plus retenir ses meilleurs éléments sur une décennie; et inversement, les besoins d’une entreprise évoluent dans le temps. Je ne pense pas connaître la recette d’une équipe gagnante, mais la flexibilité est certainement un ingrédient très important.